Hervey de Saint-Denys
Volonté dirigeante
«Je rêve que j'ai découvert de grands secrets magiques par le moyen desquels je puis évoquer les ombres des morts, et aussi transformer les hommes et les choses selon le caprice de ma volonté.
Je fais d'abord surgir devant moi deux personnages qui ont cessé d'exister depuis plusieurs années, et dont les images fidèles m'apparaissent néanmoins avec la plus parfaite lucidité.
Je souhaite de voir un ami absent ; je l'aperçois aussitôt, couché et endormi sur un canapé. Je change un vase de porcelaine en une fontaine de cristal de roche, à laquelle je demande une boisson fraîche qui s'échappe à l'instant d'un robinet d'or.
J'avais perdu depuis plusieurs années une bague que je regrettais beaucoup. Le souvenir m'en vient à l'esprit. Je désire la retrouver ; j'émets ce vœu, en fixant les yeux sur un petit charbon que je ramasse dans le foyer, et la bague est aussitôt entre mes doigts.
Le rêve continue ainsi jusqu'au moment où l'une des apparitions que j'avais provoquées me charme et me captive assez pour me faire oublier mon rôle de magicien, et pour me jeter dans une nouvelle série d'illusions plus réalistes.
A mon réveil, je suis frappé par cette idée que ma volonté seule avait successivement évoqué toutes ces images. Il est vrai que je n'avais pas eu le sentiment d'être le jouet d'un songe ; mais je n'en avais pas moins rêvé exactement ce que j'avais voulu.»
Mais aussi:
Dans un autre rêve cependant, l’impression d’avoir voyagé en dehors de son corps ne lui procurait aucun élément qui aurait été susceptible de lui fournir matière à des vérifications.
« Cette nuit, j’ai rêvé que mon âme était sortie de mon corps, et que je parcourais d’immenses espaces avec la rapidité de la pensée. Je me transportais d’abord au milieu d’une peuplade sauvage. J’assistais à un combat féroce, sans courir aucun danger puisque j’étais à la fois invisible et invulnérable Je dirigeais de temps en temps mes regards vers moi-même, c’est à dire vers la place où mon corps eût été si j’en avais eu un, et je m’assurais bien que je n’en avais plus. L’idée me vint de visiter la Lune, et je m’y trouvai tout aussitôt. Je vis alors un sol volcanique, des cratères éteints et d’autres particularités, reproduction évidente de lectures que j’ai faites ou de gravures que j’ai vues, singulièrement amplifiées et vivifiées toutefois par mon imagination. Je sentais bien que je rêvais, mais je n’étais point convaincu que ce rêve fût absolument faux. L’admirable précision que tout ce que je contemplais m’inspirait la pensée que peut-être mon âme avait momentanément quitté sa prison terrestre, ce qui ne serait pas plus merveilleux que tant d’autres mystères de la création. Quelques opinions d’anciens auteurs sur ce sujet me revinrent en mémoire, et ensuite ce passage de Cicéron : ’’ Si quelqu’un était monté au ciel et que là il ait vu de tout près le Soleil, la Lune et les astres, cela ne lui serait cependant point agréable s’il n’avait personne qui le racontât’’. Je souhaitai immédiatement de revenir sur la terre; je me retrouvai dans ma chambre. J’eus un moment l’étrange illusion de regarder mon corps endormi, avant d’en reprendre possession. Bientôt je me crus levé, la plume à la main, notant minutieusement tout ce que j’avais vu. je m’éveillai enfin, et mille détails tout à l’heure très nets s’effacèrent presque instantanément de ma mémoire. »[