POUR SOURIRE UN PEU:
Recette de l’essence d‘urine utilisée par Mme de Sévigné contre tous ses maux:« Baume d’urine, qu’on peut à juste titre appeler « catholicon », à cause de ses propriétés merveilleuses. Prenez l’urine d’un jeune homme bien portant de 12 ans environ et si possible qui ait bu du vin depuis quelques mois. Faites putréfier cette urine sur du fumier pendant une année philosophique [un mois], puis distillez-la dans l’athanor à petit feu sur des cendres ou du sable dans un vase de verre, recouvert d’un alambic de verre joint lui-même à un récipient de verre, le tout recouvert d’un sceau d’Hermès [c’est-à-dire fermé à la lampe] ;
« On cohobera à quatre reprises [c’est-à-dire quatre fois on remettra le produit distillé sur le résidu pour le distiller à nouveau] ; le produit de la distillation sera recueilli dans un vase de verre bien fermé et non un autre. La couleur doit être blanche et son odeur légèrement fétide, c’est pourquoi, pour lui donner une saveur plus suave, on lui ajoute avant d’en faire usage, de la cannelle et du sucre.
« Vertus du baume d’urine. La quintessence d’urine peut être un remède universel [catholicon]. Elle possède, en effet, d’admirables propriétés pour tous genres de maladies et vient merveilleusement en aide à la nature. Elle guérit l’hydropisie, la suppression de l’urine et des règles, empêche la corruption, guérit la peste, les fièvres de toute nature, putrides, fièvres quartes, quotidiennes, elle arrête les vomissements et les nausées, malgré que parfois elle provoque elle même les vomissements. »
En somme, cet esprit d’urine n’était autre chose qu’une solution ammoniacale ; comme telle, elle avait des propriétés réelles et nous avons encore son similaire dans la liqueur ammoniacale anisée qui malheureusement n’a pas hérité de toutes ses brillantes qualités.
Une ancienne pharmacie Trop d’analogies existent entre l’essence d’urine et l’eau de Millefleurs, pour que la pensée ne vole pas naturellement de l’une à l’autre. Dès l’abord, une surprise nous attend : comment a-t-on pu donner un nom si poétique et si parfumé à un produit aussi répugnant ? Sans doute c’est l’éternelle loi ; Vulgus vult decipi, et il a fallu cacher sous des fleurs la médecine nauséabonde. La seule transposition de l’effet à la cause explique mal cette dénomination inattendue. Puis, au fond, c’est une question d’habitude et de répugnance peut-être mal expliquée. Nous buvons bien le lait de la vache ; pourquoi reculons-nous devant l’eau de Millefleurs, que nos ancêtres absorbaient à pleins verres et qui a la même origine ? Il n’y a rien de sale dans la nature, mais seulement des composés chimiques en voie de transformation et à ce point de vue l’un n’est pas plus sale que l’autre.
L’eau de Millefleurs, nous dit Lémery, est le produit de la distillation de la bouse de vache fraîche et recueillie au mois de mai. Pourquoi le mois de mai ? Parce que, à ce moment de l’année, la végétation a pris assez de vigueur pour que les vaches puissent brouter les mille fleurs de la prairie. Il y avait une variante qu’on appelait l’eau de toutes fleurs, de Bateus. On prenait alors de la bouse de vache et des limaçons avec leurs coquilles ; le tout était écrasé, délayé dans un tiers de vin, blanc et distillé. Cette dernière était surtout réservée comme eau de toilette pour les mains et le visage.
Enfin on donnait encore le nom d’eau de Millefleurs à la simple urine de vache ; c’est ainsi du reste qu’elle était principalement employée, et l’on s’en servait, paraît-il, avec beaucoup de succès contre plusieurs maladies. Au printemps et en automne, on en buvait deux ou trois verres tous les matins pendant neuf à dix jours et on se promenait ; l’auteur ajoute : il est bon que ce soit à la campagne, et pour cause.
Cette urine purge beaucoup les sérosités, mais sans tranchées ; elle produit de bons effets par les purgations ; elle est propre pour l’asthme, pour l’hydropisie, pour les rhumatismes, pour la goutte et pour les vapeurs. Cette eau de Millefleurs remplaçait donc la médication dépurative que beaucoup ont l’habitude de suivre à ce moment de l’année. On se mettait au vert, selon l’expression consacrée. Plus tard survint le jus d’herbes, si en honneur à la fin du XIXe siècle, et il n’est pas dit qu’un jour ou l’autre un retour de fortune ne soit réservé à nos vieilles drogues.