C’est une des îles les plus isolées du monde mais vers l’an 320, un canoë à double coque portant une centaine navigateurs d’une culture lointaine aborda ses côtes. Au cours des siècles qui suivirent, une société remarquable se développa dans l’isolement sur l’île. Pour des raisons encore inconnues, ils se mirent à sculpter de gigantesques statues dans la pierre volcanique.
Ces monuments, connus sous le nom de "moai", sont parmi les reliques les plus incroyables jamais découvertes. Le peuple de l’Ile de Pâques la nomma Te Pito o Te Henua, le Nombril du Monde. D’où venaient-ils et pourquoi disparurent-ils ? La science a appris beaucoup sur l’énigme de l’Ile de Pâques mais les questions et les controverses demeurent.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L’Ile de Pâques - Rapa Nui est un petit bout de terre de forme triangulaire dans le Pacifique Sud à 27 degrés au sud de l’équateur et à quelques 3600 km du Chili. Les Polynésiens l’appelaient Rapa Nui, ‘Grande Rapa,’ à cause de sa ressemblance avec une autre île nommée Rapa Iti, ‘Petite Rapa’. Elle reçut son nom actuel lorsque le capitaine hollandais Jacob Roggeveen la découvrit un dimanche de Pâques, le 5 avril 1722. Il y découvrit trois groupes distincts : à peau sombre, à peau rouge et à peau pâle avec des cheveux roux. Tous avaient de longues oreilles, ils déformaient leurs lobes pour y insérer de lourds ornements.
Formée par une série d’éruptions volcaniques massives, l’île ne fut peuplée que d’oiseaux et de libellules pendant des millions d’années. Ses pentes abruptes, cependant, s’élevèrent comme un phare pour un groupe fatigué de navigateurs polynésiens. Depuis combien de temps durait leur voyage et pourquoi avaient-ils quitté leur terre natale sont des questions auxquelles nous ne pourrons sans doute jamais répondre, mais l’on peut imaginer leur joie à la vue de ces côtes après ce qui avait dû être des mois de navigation
Ils trouvèrent une île luxuriante, couverte de palmiers géants qu’ils utilisèrent pour construire leurs bateaux et leurs maisons. Les plantes qu’ils avaient apportées avec eux poussaient bien dans le riche sol volcanique et vers 1550, la population de l’île se situait entre 7000 et 9000 habitants.
Des clans distincts se formèrent tandis que la population augmentait, et plusieurs villages se créèrent. Une chose les unissait cependant : la construction des statues et le culte qui se forma autour. Les moai et les ahus existaient déjà vers l’an 500, la majorité fut sculptée et érigée entre 1000 et 1650, et ils étaient toujours debout lorsque Jacob Roggeveen visita l’île en 1722.
Leur obsession à construire ces statues finit par causer leur déclin, en réduisant considérablement les forêts, car ils utilisaient le bois pour déplacer les moai géants.
Chaque moai est né dans la caldera du Rano Raraku.
La production des statues était fort probablement accompagnée de nombreux rituels et cérémonies. Si un défaut apparaissait dans la roche, la statue était abandonnée et ils en commençaient une autre ailleurs. Ils se servaient des fissures de la roche volcanique mais aussi des variations de couleur, en véritables artistes.
Lorsque enfin une statue était terminée, on la faisait glisser le long de la pente en utilisant des cordes attachées à des troncs de palmier plantés dans le sol. A la base du cratère, on élevait la statue et les décorations finales étaient gravées sur son torse et son dos. Des yeux de corail et d’obsidienne étaient placés pour finaliser le travail.
La préparation pour transporter les statues à travers l’île jusqu’aux divers ahus pouvait alors commencer. Il semble raisonnable de penser que l’on faisait rouler les statues sur des bûches lubrifiées d’huile de palme, le long des anciennes routes qui sillonnent l’île, mais?. Certains suggèrent qu’elles étaient déplacées en position verticale, ce qui correspond aux légendes des statues qui «marchent» jusqu’à leur ahu.
Les ahus sont des plates-formes de cérémonie construites pour supporter des collections de moai. Bâtis au bord de l’océan, les ahus nécessitaient autant de savoir-faire et de travail que les statues elles-mêmes. Des blocs massifs et des tonnes de remblai étaient nécessaires pour bâtir les ahus. La plupart, cependant, ne sont pas des constructions très élégantes.
Plus d’un millier de moai fut sculpté et la population continuait à s’accroître. Pendant des décennies, la compétition pour construire les plus gros et les plus beaux moai se poursuivit, et les divers ahus formaient une ligne presque continue le long de la côte. La culture avait atteint son zénith. Et quelque chose tourna très mal...
La déforestation se poursuivit, suivant la compétition pour la construction des moai jusqu’à devenir une obsession. La carrière produisait des moai d’une taille telle qu’ils n’auraient probablement pas pu être transportés (un moai inachevé mesure 21m !) Et les arbres étaient abattus. Avec la déforestation, la terre s’éroda. La petite couche d’humus fut emportée dans la mer. Les cultures commencèrent à faillir et les clans se tournèrent les uns contre les autres, se battant pour les ressources devenues rares. Les symboles de pouvoir qu’étaient les moai furent renversés.
Sans bois pour construire des bateaux, tout ce qui restait au peuple de Rapa Nui, c’était de regarder avec envie les oiseaux. C’est dans ces conditions que vit le jour le culte de l’Homme Oiseau (Tangata Manu). Il est possible que ce culte ait commencé pendant le règne du culte des statues ; cependant, il ne devint que plus tard la religion dominante de l’île et il continua à être pratiqué jusqu’en 1866-67.
Haut sur la crête du cratère de Rano Kau se trouvait le village cérémonial de Orongo. Construit pour vénérer le dieu de la fertilité Makemake, dont le Tangata Manu était le représentant, Orongo devint le site d’une compétition terrible.
Chaque année, le gouvernement de l’île était déterminé par l’individu qui pouvait dévaler les pentes verticales, traverser à la nage les eaux infestées de requins jusqu’à l’un des trois îlots, et ramener intact l’oeuf d’une sterne noire. Celui qui y parvenait devenait Homme Oiseau de l’année et on lui accordait nombre de privilèges.
Gravés dans le basalte d’Orongo, plus de 480 pétroglyphes d’Hommes Oiseaux ont résisté aux caprices de la météo.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La culture de Rapa Nui aurait pu se reconstruire autour du culte de l’Homme Oiseau, mais en 1862, des vagues de marchands d’esclaves emportèrent tous les individus sains. Puis les missionnaires arrivèrent. La société pascuane était en ruines et ils n’eurent aucun mal à convertir la population au christianisme.
Par leur action, ils détruisirent toute trace de ce qu’avait été la culture locale : vêtements obligatoires, tatouage et peinture corporelle bannis, destruction des objets d’art, des bâtiments et des objets sacrés, y compris la plupart des tablettes Rongo-rongo – la clé de l’histoire de Rapa Nui.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le Rongo-rongo est l’écriture hiéroglyphique de l’Ile de Pâques. Elle demeure un mystère puisqu’elle n’a pu être traduite. Il reste 21 tablettes rongo-rongo, éparpillées dans les musées et les collections privées. Des glyphes réguliers d’environ 1 cm, hautement stylisés, sont gravés sur la longueur des tablettes. La direction de l’écriture est unique : elle commence en bas à gauche et à la fin de la ligne, l’orientation est inversée, si bien qu’il faut tourner la tablette pour continuer à lire, et ainsi de suite, une ligne sur deux étant ainsi inversée.
Une réserve quasi inépuisable de matériaux, des avancées technologiques, l’accroissement démographique, la diminution des ressources, la guerre, le déclin… L’histoire de l’Ile de Pâques ressemble à un avertissement. Il y a des différences, bien sûr, mais le parallèle entre l’attitude des pascuans envers leur environnement et notre attitude envers le nôtre est la partie la plus effrayante de l’histoire.
La personne qui abattit le dernier arbre pouvait voir que c’était le dernier, mais il ou elle l’abattit quand même. Maintenant que nous avons des satellites, il est évident que la déforestation massive est un problème sérieux, mais nos civilisations continuent, indifférentes. Elles semblent vouloir abattre les derniers arbres à coups de bulldozer pour bâtir les moai de notre temps : la technologie et le développement. Aurons-nous plus de sens commun que le pascuan qui abattit le dernier arbre ?