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 La critique littéraire d' Harry Potter

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MessageSujet: La critique littéraire d' Harry Potter   La critique littéraire d' Harry Potter Icon_minitimeVen 4 Mai 2012 - 16:04

Harry Potter, phénomène mondial


Ce héros pour la jeunesse s'arrache à 35 millions d'exemplaires dans 140 pays et a reçu 42 prix littéraires. Son auteur, l'Ecossaise J.K. Rowling, ex-chômeuse, n'en est toujours pas revenue.


«Harry Potter continua de dormir sans savoir qu'il était déjà un être exceptionnel, sans savoir non plus qu'il était déjà célèbre...» Ainsi s'ouvre l'épopée du jeune apprenti sorcier aujourd'hui fêté à travers le monde. J.K. Rowling, l'auteur qui a engendré le personnage légendaire, croyait-elle si bien dire? Elle jure que non. Nul doute, ses mots ont des vertus magiques. Les aventures du jeune Potter envoûtent toute une génération qui a grandi souris en main et écran en tête et que l'on croyait à jamais insensible aux charmes de la lecture, imperméable à la magie des signes inscrits sur la page blanche.

J.K. Rowling, réputée secrète, s'est longtemps retranchée derrière l'anonymat de ses deux initiales (peut-être en partie pour attirer sans discrimination un lectorat féminin et masculin) et un destin en forme de conte de fées. Harry Potter a aussi fait basculer la vie de son auteur. Joanne Kathleen Rowling, une Ecossaise âgée de trente-quatre ans, est passée du statut de mère divorcée au chômage à l'une des plus grandes fortunes britanniques et a récemment été promue Officier de l'Empire britannique.

Après des études de français à Exeter, elle travaille quelque temps pour Amnesty International à Londres, puis part enseigner au Portugal où elle rencontre le père de sa fille Jessica. Le mariage ne dure qu'un an, elle retourne vivre à Edimbourg où elle essaie de se remettre d'une dépression et reprend le projet longtemps couvé de Harry Potter. Dès que sa petite fille s'endort, elle fuit son appartement glacial et se réfugie dans un café pour écrire. En 1995, Christopher Little, un agent qui ne travaille jamais avec des auteurs pour la jeunesse, prend J.K. Rowling sous sa houlette et place son premier tome chez Bloomsbury, après neuf refus. Harry Potter à l'école des sorciers est immédiatement acclamé par la presse et récompensé par de nombreux prix. Sur le conseil de l'éditrice Christine Baker, Gallimard achète les droits de la série et publie le premier tome dès 1998. L'aventure culmine cet été avec le lancement de Harry Potter et la coupe de feu. Avec ce pavé de 636 pages plus long que Madame Bovary, l'auteur semble surenchérir sur le phénomène et se lancer ses propres défis. Qui osera encore dire que la génération zapping ne sait ni lire ni se concentrer? L'auteur, quant à elle, est toujours aussi «déconcertée» par l'hystérie que provoquent ses romans.

Harry Potter, phénomène sans précédent dans l'histoire du livre, de la Bible à nos jours, est désormais un fait de société. Le jeune héros n'a a priori rien de très séduisant et plutôt tout d'une victime. Avec sa tignasse hirsute, ses lunettes rafistolées au Scotch, sa cicatrice en forme d'éclair sur le front, Harry est un orphelin humilié et brimé par une belle-famille aussi sadique que médiocre. Tante Petunia, la marâtre par excellence, est méchante, jalouse et narcissique et n'a d'admiration que pour son fils grassouillet et bête, l'immonde Dudley. Quant à l'Oncle Vernon, abruti de nature et représentant en perceuses de profession, il a tout le conformisme d'un petit bourgeois apeuré. Eux, ce sont des «moldus», des gens dépourvus de tout sens magique (et d'humour) qui font tout pour cacher à Harry son sang sorcier. Jusqu'à ce que Hagrid, l'ogre envoyé par le ministère de la Magie l'emmène à Poudlard, la célèbre école de sorcellerie, et lui révèle ses véritables origines: ses parents n'étaient pas des moldus qui ont disparu dans un accident de voiture mais d'illustres sorciers assassinés par Voldemort, le grand nécromancier. Et sa mère s'est sacrifiée pour le sauver, un acte qui le désignera pour accomplir de grandes choses.

Chaque tome décrit un an de la vie de Harry au pensionnat. Poudlard est un monde enchanté de sorciers, où l'on apprend à manier le balai volant, concocter des potions magiques de toutes sortes, où l'on étudie la Divination avec la sibylline Mme Trewlaney, où l'on pratique les sortilèges d'allégresse, où l'on dresse des hippogriffes et tente d'apprivoiser des épouvantards. Harry y fréquente d'étranges et attachants personnages, Hagrid, l'ogre à l'accent cockney qui a un penchant irrésistible pour un dragon domestique, ou l'elfe et vieille Mimi Geignarde. Il y affronte aussi l'amertume de Rogue, un professeur acariâtre et jaloux, et la stupidité des insupportables teignes que sont Drago Malfoy et sa bande. Entre un cours d'arithmancie et une séance d'entraînement de Quidditch - football pratiqué dans les airs sur balais volants -, Harry, avec l'aide de ses camarades Hermione et Ron, tente d'élucider le mystère qui entoure la mort de ses parents et d'échapper à la persécution de Voldemort qui n'en finit pas d'en vouloir à sa vie. J.K. Rowling est une magicienne du suspense et des retournements de situation, tout en donnant l'assurance que Harry vaincra les forces du mal. Nul n'a mieux décrit que Freud le plaisir du lecteur à vivre par procuration les périls de son héros littéraire: «Rien ne peut t'y arriver» et dans l'invulnérabilité chacun reconnaît sans peine Sa Majesté le Moi, héros de tous les rêves diurnes comme de tous les romans...

Mais le suspense n'explique pas tout. Pour Nicholas Tucker, spécialiste de littérature Jeunesse à l'université de Brighton, c'est l'archétype de Cendrillon et de l'orphelin esseulé et mal-aimé que l'on retrouve dans toutes les civilisations qui séduit les lecteurs à travers le monde. «On peut facilement s'identifier au personnage de Harry car il est à la fois affectivement plus démuni que la plupart des lecteurs et a pourtant l'étoffe d'un héros. Il leur donne le sentiment d'être des moldus privilégiés admis dans un monde magique le temps d'un livre», dit Pat Pinsent, un professeur de littérature pour la jeunesse à Roehampton. Quant à l' «effet série» et l'attente qu'il crée, ils sont d'autant plus importants que le nombre d'épisodes est limité et que Rowling, qui déteste Peter Pan, fait grandir Harry d'un tome à l'autre et ne le figera pas dans le monde asexué de la pré-adolescence. De fait, elle a créé un héros qui vit en temps réel et qu'elle accompagnera jusqu'à l'âge de 18 ans.

Christine Baker, elle, se dit avoir été immédiatement conquise par «la géographie parfaitement maîtrisée de l'univers de Rowling et son écriture extrêmement efficace, qui allie réalisme psychologique, justesse et drôlerie des dialogues, fantaisie et humour». Les pages de Rowling sont peuplées de loufoqueries charmantes qui s'animent comme un jeu vidéo au moyen d'une souris: des meubles sentimentaux qu'il faut caresser, des galeries de portraits où patriarches compassés et chevaliers excentriques sortent de leur cadre et se rendent visite, des livres qui miment leur contenu tels que Le monstrueux livre des monstres dont les exemplaires se battent entre eux et l'introuvable Invisible livre de l'invisibilité ou encore des Ton-Tongues, bonbons-farces qui font gonfler démesurément la langue de leur victime trop goulue.

Mais la force de Rowling est de présenter un univers où le Bien et le Mal se distinguent clairement sans pour autant être manichéen ou ancré dans des valeurs chrétiennes. Amitié, loyauté, courage, persévérance, sont les valeurs qui émanent de ces récits. La série offre bien plus qu'une littérature récréative de suspense et d'évasion. Elle développe une douce réflexion, sur la perte, la mort et la peur qui, dans chaque tome, devient de plus en plus complexe à mesure que Harry mûrit. Dans le premier tome, l'apprenti sorcier apprend à ne pas se complaire dans le miroir du désir où il voit ses parents. Deux ans plus tard, dans Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, il doit dompter sa terreur vis-à-vis des Détraqueurs. Ces créatures, que Rowling associe avec sa période de dépression, sont des monstres sans visage qui annulent toute capacité de bonheur et d'espoir et peuvent vider la victime de son âme. Petit à petit, le bestiaire inquiétant figurant les peurs irrationnelles de l'enfance laissent place aux angoisses intérieures de l'adolescence. Dans le dernier tome Harry a 14 ans. Il doit de nouveau affronter la haine de Voldemort mais il devra aussi faire le deuil d'un camarade, surmonter ses premiers problèmes d'amitié et connaître ses premières émotions amoureuses...

Les Harry Potter sont-ils des livres d'enfants pour adultes? Qu'ils soient parents ou non, eux aussi sont atteints de «Pottermania» et les éditeurs ont prévu pour ceux d'entre eux qui se sentent encore obligés de lire leur Potter caché sous un Financial Times une édition avec couverture plus «moldus-correct». On voit bien comment la plume enlevée et volontiers ironique de J.K. Rowling ainsi que son sens magistral du suspense séduisent les adultes. Mais il ne faut pas chercher dans ses livres la complexité poétique du Petit Prince ou les jeux philosophiques et linguistiques de Lewis Carroll.

Le succès ne va pas sans critique et, lorsqu'en janvier Harry Potter avait failli remporter le très envié prix Whitbread, un «prix adulte», d'aucuns se sont récriés contre l'infantilisation de la culture et les premiers reproches sont tombés: manque d'épaisseur psychologique des personnages, emprunts divers... Certes, on retrouve des éléments et des clins d'?il à ses prédécesseurs: la loufoquerie de Lewis Carroll, le côté gothique de Tolkien, le combat entre le Bien et le Mal de C.S. Lewis, le monde de la sorcellerie de Diane Wynn Jones et, bien sûr, la fantaisie de Roald Dahl. On ne peut reprocher à Rowling d'avoir lu les classiques quand elle écrit au sein d'un héritage littéraire si riche. La somme des parties ne fait pas le tout.

Mais que veut l'enfant? Telle est inévitablement la question que pose cet engouement planétaire qui mérite enquête. En France, comme chez les Anglo-Saxons, la mode était au réalisme, avec des livres abordant les problèmes de société, drogue, délinquance juvénile, grossesse mineure ou homosexualité. J.K. Rowling envoûte avec l'univers d'un pensionnat typiquement britannique où il n'y a ni ordinateur ni électricité, un univers débarrassé de tout le fatras anxiogène de la vie contemporaine. Jean-François Ménard, dont il faut saluer l'excellente traduction française et qui en ce moment même traduit au rythme de douze pages par jour pour livrer dès novembre le nouveau Harry Potter à son public français, est convaincu que l'ampleur du phénomène est révélatrice d'une grande anxiété.

J.K. Rowling a su capter et répondre à l'angoisse d'une génération d'enfants dont les parents ont une vie émotionnelle, professionnelle et géographique instable. Avec son monde magique, elle prolonge et protège l'enfance tout en initiant à la peur, à la solitude et à l'indépendance. Rowling a reçu plus d'une demande d'inscription à Poudlard et on ne s'étonnera pas que l'univers du pensionnat qui tour à tour imite et moque le monde réel ait tant d'adeptes. Il est l'emblème d'un univers coupé des pressions adultes, avec ses règles propres, ses références stables et la présence tutélaire de figures professorales très fortes. Le professeur Dumbledore, guide ferme et bienveillant, secourt toujours Harry dans ses moments de détresse et s'adresse à lui sans jamais de didactisme ni condescendance. Clarté et assurance, c'est la grande force qui se dégage de Rowling. On le sait, mythes et contes de fées répondent aux éternelles questions: «A quoi ressemble le monde? Comment y vivre?» et proposent des modèles de comportement qui donnent un sens à la vie. Qu'il devienne un classique ou non, Harry Potter semble déjà avoir acquis une dimension mythologique!

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