Ils aménagent leur cave, construisent des bunkers dans leur jardin, font des réserves de nourriture pour plusieurs années, s’entraînent au tir et à l’auto-défense, révisent les bases du système D en matière de santé et de survie en milieu sauvage.
Bref, ils se préparent quotidiennement à une hypothétique fin du monde. Un scenario digne d’un film post-apocalyptique et pourtant, les survivalistes sont bel et bien parmi nous ; et leur communauté ne cesse de croître.
Le survivalisme : un concept étrange venu d'ailleurs Initié aux États-Unis dans les années 60 et 70, le survivalisme a émergé au lendemain du premier choc pétrolier, qui confronta plus que jamais la population aux notions de pénurie, d’inflation et de dépendance énergétique.
Cette crise économique éveilla une partie de la population à l’intérêt puis à la nécessité de devenir autonome et auto-suffisant, dans un système économique et politique où tout peut finalement basculer en l’espace de quelques semaines.
Cette angoisse de la pénurie et cette obsession d’une survie qui dépendrait de l’auto-suffisance fut régulièrement ravivée au cours des décennies suivantes, dépassant très largement les frontières des États-Unis, avec des évènements aussi divers que la menace nucléaire ou terroriste, les problèmes environnementaux, les catastrophes naturelles de grande envergure, les crash boursiers, sans oublier l'influence de diverses doctrines religieuses et prophéties de tous genres, telle la fameuse apocalypse du 21 décembre 2012 (serrons les fesses les enfants, plus que 350 jours :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Véritable phénomène de société, le survivalisme passionne autant qu’il intrigue, et la notion de survie post-apocalyptique n’a jamais été aussi présente que depuis ces dernières années.
Le florissant business de la survie après la fin du monde
Adaptation à l’écran de romans post-apocalyptiques incontournables (La Route de John Hillcoat – 2009), indémodables films cultes mettant en scène une humanité violente livrée à elle-même dans des conditions extrêmes (Mad Max) , blockbusters annonçant une fin du monde spectaculaire (2012)... Sans oublier le soudain regain d’intérêt pour le phénomène zombie, qui devient de plus en plus prétexte à s’interroger sur la survie d’une humanité qui repart à zéro.
Dans ce domaine, notons la très remarquée saga de comics "Walking Dead", de Robert Kirkman, récemment adaptée à la télévision, prend le prétexte de l’invasion zombie pour se centrer rapidement sur l’avenir d’un groupe de survivants livré à lui-même et confronté à une menace humaine prédominante (celle des autres survivants)
Ces comic books ultra violents mettent en scène les pires scenari de fin du monde et de conditions de survie ("Crossed" de Garth Ennis), et la question de la survie et du survivalisme gagne même nos loisirs en s’installant dans nos programmes TV ("Man vs Wild") et sur nos tables de jeux, comme en témoignent les jeux de plateaux aussi populaires que "Zombie !" ou "Les Morts aux trousses", dont le seul enjeu et de parvenir à survivre par tous les moyens, au détriment des autres joueurs, les ressources et possibilités de survie étant évidemment tout juste suffisantes pour une seule personne.
La question de la survie passionne donc au point que certains décident de franchir le pas, s'organisant personnellement pour affronter une éventuelle catastrophe, quelle qu’en soit la nature, et survivre dans un monde où tout serait à refaire.
Les Américains ne cachent ainsi plus leur engouement pour le survivalisme qui, pour certains, un mode de vie à part entière. Un véritable business de la survie est né autour de ce mouvement, avec des chaînes de magasins entièrement vouées à la pratique du survivalisme, et qui proposent tout le nécessaire du parfait petit survivant : nourriture lyophilisée à conservation prolongée, matériel médical, abris, nécessaire de chasse etc.
Certains promoteurs immobiliers élaborent même des abris souterrains vendus à prix d’or, tandis que naissent des communautés de survivants qui vendent à prix d’or les places dans leurs bunkers ou villages protégés. Et si, face à ce genre de phénomènes, on se plaît à pointer gentiment du doigt nos voisins d’outre-Atlantique en se disant "ils sont vraiment fous ces ricains !" ou "Il n’y a vraiment que les Américains pour faire un truc pareil", force est de constater que le phénomène s’est très largement répandu et s’est définitivement installé en France où la communauté survivaliste ne cesse de croître.
Les survivalistes, qui sont-ils ? Il est évidemment tentant de dresser un portrait type plein d’a priori qui serait censé caractériser un survivaliste type. Fanatique religieux craignant le jugement dernier au point de passer toute sa vie à s’y préparer ? Ancien militaire ou fou de guerre aimant manier et collectionner les armes ? Parce que finalement, ne faut-il pas être un peu fou pour passer son temps libre à se préparer à la fin du monde ? Fou ou simplement prévoyant ? Et si finalement, les survivalistes, c’était moi, c’était vous, le voisin d’en face, le mari de la boulangère ?
C’est en m’intéressant à la question du survivalisme en France que je me suis rendue compte de cette nuance qui existe peut-être entre le survivalisme Américain et celui qui est exercé ici : si les Américains assument pleinement le fait de se préparer à d’hypothétiques catastrophes, s’ils affirment fièrement vouloir faire partie des derniers survivants de cette Terre en cas d’apocalypse, le survivaliste français a, à la base, tendance à définir les choses un peu différemment,.
En effet, il présente cela plutôt comme un art de vivre, un retour aux sources, un mode de vie similaire à celui de l’homme qui ne bénéficiait pas encore du confort moderne : apprendre à chasser, à vivre de la nature, à se protéger contre les menaces diverses, tout cela est presque présenté comme un sport, un retour aux valeurs fondamentales.
Quoi qu’il en soit, dans la pratique, le résultat semble être le même : survivalistes de tous horizons semblent mettre l’accent sur les mêmes nécessités. Faire des réserves d’eau et de nourriture, s’équiper au maximum pour survivre dans la nature ou pour affronter une disparition du confort moderne ou une pénurie d’énergie, maîtriser les principes de base en matière de médecine avec les moyens du bord (ainsi, un forum survivaliste explique-t-il comment refermer une plaie, en l’absence de fil et d’aiguille, avec de la colle forte), constituer des stocks de médicaments (l’iode semblant en tête des substances prisées, menace nucléaire oblige), posséder un abri (de nombreux plans, de la cabane souterraine de fortune aux bunkers les plus élaborés, sont disponibles sur les forums et sites survivalistes) etc.
Devons-nous nous convertir au survivalisme ? Les survivalistes sont-ils un exemple à suivre ? Doit-on les envier pour tant d’organisation et de souci d’anticipation, et devrions-nous nous soucier plus sérieusement de notre propre survie, en suivant les préceptes et conseils de ce mouvement ?
J’avoue que lorsque j’ai commencé à considérer la question, je me suis d’abord dit que oui, j’étais peut-être bien une sorte d’irresponsable, une incorrigible cigale qui préfère chanter tout l’été et qui une fois la bise venue, pleurera de n’avoir ni rations de survie, ni nourriture lyophilisée, ni abri anti-atomique pour se replier.
Car le fait est que je n’ai jamais été prévoyante ni organisée, même à une toute petite échelle. Je fais partie de ces gens qui n’ont jamais d’argent de côté et qui ne se préparent pas aux petits incidents, qui ne s’imaginent par exemple pas une seconde qu’une courroie de distribution, ça peut lâcher.
Je suis de ceux qui sortent sans mouchoirs en papier ni parapluie et qui se retrouvent trempés sous une averse avec la goutte au nez, en se disant "ben merde alors". Je suis du genre à inviter dix amis à manger un jour férié et à me retrouver en pleurs devant la porte du supermarché parce que oui, évidemment, tout est fermé, et que je n’ai plus qu’un reste de purée au frigo.
Bref, je ne suis pas prévoyante. Je suis l’anti-survivaliste par excellence : je ne planifie rien, je ne fais pas de réserves, je n’anticipe aucune situation qui pourrait requérir un équipement quelconque et le pire, c’est que cela ne m’affole pas. Autant dire qu’en terme de candidature visant à intégrer une communauté survivaliste, mes compétences me laissent à peu près autant de chances d’être admise que de remporter le prix de L’Eurovision en chantant Jolie Poupée en Allemand.
Je m’imagine ainsi, ayant survécu miraculeusement à une improbable apocalypse, grattant désespérément à la porte de tous les bunkers que je croiserais en suppliant qu’on me laisse entrer en échange de blagues et de bonne humeur. Mais soyons lucides, personne ne partage ses conserves et ses pastilles d’iode avec une inconnue en échange d’une blague.
Je pourrais donc décider de changer, et devenir moi aussi une survivaliste pure et dure, parfaitement organisée, prête à affronter la pire fin du monde qui soit. Sauf qu’à bien y réfléchir, je crois bien que non, j’aime autant pas.
Car comment être heureux dans un tel contexte ? Je veux dire, élever ses enfants en leur inculquant d’emblée que la fin du monde peut survenir n’importe quand, qu’il faut s’y préparer, que le moment venu on filera tous dans le bunker au fond du jardin pour manger du Soleil Vert [1] agrémenté de purée Mousseline même pas réhydratée, pendant que papa montera la garde au fusil de chasse pour buter tous les survivants qui essayeraient de s’en prendre à notre potager ou de violer nos poules (et encore, on serait contents qu’il ne s’agisse que des poules) ?
Quand je vois ces reportages où des parents enseignent les rudiments du tir à la carabine à leurs enfants, en leur expliquant bien qu’il faut tirer sur "les autres" (comprenez les survivants extérieurs au groupe qui se risqueraient dans les parages), pour tout dire, ça me file les jetons [2].
Quand j’apprends que des groupes de survivants se créent, chaque candidat étant trié sur le volet en fonction de ses compétences, du matériel apporté et donc de l’intérêt qu’il aurait pour la communauté, tout en sachant que tout ce qui est extérieur à cette communauté ne mérite pas d’être aidé et doit au contraire être éloigné, ben je sais pas, mais c’est un peu comme si tout ce qu’on m’avait inculqué depuis que je suis môme s’effondrait instantanément (déjà que je viens d’apprendre la mort de Dark Vador, s’agirait d’y aller doucement en terme de bousillage de mes rêves d’enfants).
Une idéologie incertaine, sans but précis : non merci, pas pour moi Et les limites du survivalisme, y réfléchit-on ? Etre préparé, c’est bien. Mais être préparé à quoi ? Une fin du monde, certes. Mais de quel ordre ? Se prépare-t-on de la même façon à une menace atomique, à un réchauffement climatique ou à une attaque bactériologique ? Et puis passer le reste de sa vie dans un abri sous-terrain, isolé de tout, coupé du reste de l’humanité, est-ce bien raisonnable ? (si vous répondez oui à cette question, c’est que vous n’avez pas assez regardé Shining quand vous étiez petits).
Pour ma part, j’ai donc cessé d’envier ces gens si bien préparés à l’apocalypse (je ne les envie pas, ce qui ne m’empêche pas d’être époustouflée par tant d’organisation et de prévoyance, je l’avoue).
Pour les raisons précédemment évoquées mais aussi parce que j’ai lu beaucoup trop de livres post-apocalyptiques pour savoir que même en étant archi-préparés, les choses se passent rarement comme prévu.
Dans le roman de Mac Carthy [3], lorsqu’après avoir erré des années durant en échappant aux hordes de survivants cannibales, le père et son fils découvrent un bunker équipé de tout le confort nécessaire et rempli de suffisamment de nourriture pour survivre plusieurs années, sont-ils sauvés pour autant ? Non.
Car le fait que ledit abri soit déserté par ses propriétaires démontre qu’être préparé et équipé au mieux ne garantit pas la survie. Et parce que le fait de trouver cet abri ne sauvera pas pour autant le père et son enfant, la perspective de s’y installer revenant à prendre le risque inconsidéré d’être trouvé par d’autres survivants n’ayant pas le sens du partage.
Alors en vérité je vous le dis, le jour où la fin du monde viendra, au lieu de descendre dans une cave équipée ou de me réfugier dans mon abri bétonné avec mari et enfants, il ne me restera plus qu’à me dire qu’au final, on aura quand même sacrément bien rigolé, et que tout ça vaut bien toutes les conserves et pastilles iodées du monde.
[1] Dans Soleil Vert (film de 1973 adapté du roman de Harry Harrison), l’humanité survit dans un monde où la faune et la flore ont été détruites. Tandis que le peu d’aliments naturels subsistants sont vendus aux plus riches, les pauvres survivent grâce au "soleil vert", un aliment synthétique fabriqué à base de plancton (attention, SPOIL) … Sauf qu’en réalité, on apprend qu’il n’y a plus de plancton sur terre et que le gouvernement recycle gentiment les cadavres pour fabriquer cet aliment. (et bon appétit bien sûr !)
[2] TF1 Sept à Huit, Fous d’apocalypse – Ce reportage a beau faire froid dans le dos, notons qu'il n'est pas représentatif des motivations de la plupart des survivalistes français, qui ont pour la plupart était profondément navrés par les propos qui y étaient tenus (en gros "l’apocalypse c’est trop bien, vivement que ça arrive !"), comme en témoignent les divers débats sur les forums survivalistes français à la suite de cette diffusion.
[3] La Route, Cormac Mac Carthy, 2006
(Par Eve Gratien)