Apparition du Navire des Morts sur la jetée de Dieppe le 2 novembre(D’après « Histoire de Dieppe » (par L. Vitet) paru en 1844
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] D’après une légende très accréditée en Normandie, un bruit sinistre se fait entendre pendant la nuit de la Toussaint, du 1er au 2 novembre, à la pointe de la jetée de Dieppe. Une tourmente se lève sur la mer, et du milieu des vagues le Navire des Morts paraît, ainsi appelé parce que sont à bord les trépassés de l’année. Se promenant longtemps sur les flots dans le silence et dans les ténèbres de la nuit, il s’y abîme ensuite aux sons d’un chœur chanté par les morts, sur l’air du Dies irae.
Le jour des Morts est pour les marins une grande solennité ; ce jour leur rappelle tous les naufrages de l’année : ils prient avec ferveur pour ceux qui reposent au fond des flots. Toutefois, parmi les victimes, il en est toujours un certain nombre que leurs parents ou leurs amis ont négligées, qui attendent des messes, des prières, et ont un compte à régler avec les vivants ; de là l’histoire qu’on vous raconte à Dieppe.
Presque chaque année, le jour des Morts, on voit apparaître au bout de la jetée un des navires qui ont péri depuis un an ; on le reconnaît : ce sont ses voiles, ses cordages, sa mâture ; c’est bien lui. Le gardien du phare lui jette la drome, l’équipage du vaisseau la saisit, et l’attache à l’avant-pont, suivant l’usage ; alors le gardien de crier aux gens du port : « Accourez , accourez ! Veuves, voici vos maris ; orphelins, voici vos pères ! » Et les femmes accourent, suivies de leurs enfants ; tous s’attellent à la drome et halent le bateau. Bientôt il est dans le bassin, près du quai ; chacun reconnaît ceux qui sont à bord. « Bonjour, mon homme ; bonjour, mon père ; bonjour, Pierre, Nicolas, Grégoire ; » l’équipage ne répond pas. « Allons, amenez vos voiles » ; les voiles restent tendues. « Venez donc, que nous vous embrassions. » A ces mots on entend sonner la messe, et aussitôt les voiles, le bateau, l’équipage, tout disparaît ; les femmes et les enfants des naufragés s’en vont à l’église en pleurant. « Payez vos dettes », murmure autour d’eux la foule des spectateurs.
Cette légende est quelquefois contée d’une autre manière. Les Polletais disent que le jour des Morts, à la nuit tombante, il arrive parfois qu’on voit s’approcher du bout de la jetée du Pollet un bateau que l’on prendrait pour un bateau du port. Le maître haleur, trompé par l’apparence, s’apprête à jeter la drome ; mais, lorsqu’il étend les bras, la figure du bateau s’évanouit, et l’on entend par les airs des voix plaintives : ce sont celles des hommes du Pollet qui, dans le cours de l’année, sont morts à la mer, loin des yeux de leurs parents, et sans sépulture.
Un marin qui oublie les vœux et les promesses qu’il fait aux saints pendant la tempête, ne trouve jamais dans l’autre monde ni trêve ni repos.
Au contraire, quand le bateau a été bien baptisé, qu’il a de bons parrains, que tous les matelots ont fait leurs Pâques ; quand ils ont à bord de l’eau bénite et des crucifix, qu’alors survienne un orage, et vous voyez au fort de la tempête l’équipage se doubler tout à coup. Vous étiez six matelots, vous voilà douze : chacun a son sosie qui travaille à côté de lui. Aussi comme la manœuvre est rapide ! comme le vaisseau triomphe du vent et de la vague ! c’est le saint son patron et quelques saints ses amis qui sont descendus pour le sauver.