(c'est un peu la suite de l'article précédent sur Ramses III)[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Fresque du prince Amonherkhepshef, fils de Ramses III, avec sa mère et Anubis, sur la tombe d’Amonherkhepshef. Holton Collectio/SUPERSTOCK/SIPAPascal Vernus, égyptologue et directeur d’Etudes à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE), revient sur la fin de Ramsès III dans des conditions troubles.
SetA: Dans Affaires et scandales sous les Ramsès*, vous évoquiez déjà la fin de règne assez trouble du Pharaon Ramsès III (1187-1156 av.JC), le deuxième souverain de la XXe dynastie… Pourquoi, alors que nous disposions de documents exceptionnels sur le complot ourdi contre ce Pharaon, n’a-t-on jamais su clairement qu’il avait été assassiné ?
Pascal Vernus: Jusqu’à ce jour et aux résultats obtenus par l’anthropologue Albert Zink, nul n’était parvenu à mettre en évidence des traces de mort violente sur la momie de Ramsès III (lire notre article). En effet, les documents concernant la conspiration à la fin du règne de ce pharaon, comme le papyrus dit « judiciaire » de Turin, le papyrus Lee et papyrus Rollin, sont rédigés dans ce que nous appellerions de la « langue de bois » et embués par un brouillard « politiquement correct».
C’est-à-dire ?
Le nom de certains comploteurs était déformé, des faits précis étaient dissous dans des expressions vagues. Etaient évoqués de « grandes abominations », ou « des exactions qu’il avait faites », sans jamais préciser de quelles abominations il s’agissait, ni de qui était clairement à l’origine de ces exactions.
Pourquoi ces réticences ?
Parce que les évènements, pour nous essentiels, étaient considérés par les Egyptiens de l’époque comme trop abominables pour être mentionnés ! La phraséologie des textes est volontairement obscure. Ces documents, contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’étaient pas des « minutes » d’un jugement. Si le papyrus de Turin est qualifié de « judiciaire », c’est uniquement parce qu’il mentionne des procédures judiciaires. Il ne s’agit pas d’un procès-verbal, mais de concises notations, dominées par l’obsession de ne pas se livrer à un « déballage » embarrassant. On peut y lire: « On le fit comparaitre devant les magistrats de la place d’interrogatoire. On examina ses fautes. On constata qu’il était coupable ».
Que savions-nous par l’étude de ces textes ?
Que Tiyi, une des épouses de Ramsès III, avait voulu placer son fils Pentaour sur le trône, alors que le choix du pharaon était d’y porter son cinquième fils, le scribe royal et général Ramsès, qu’il avait eu avec la reine Isis Tahemdjert. Choix que le pharaon manifestait clairement en parlant de ce fils comme du « prince héritier ».
Cette conspiration est donc fondamentalement une affaire de succession ?
Absolument. Et la conspiration s’est déroulée au cœur du harem royal. Apparemment, Tiyi avait su rallier à la cause de son fils d’autres femmes de l’institution. D’ailleurs, dans la liste des condamnés, les administrateurs du harem tiennent une bonne place. On y trouve Panik (!), le directeur de la chambre du roi du harem d’accompagnement, et son subordonné Pendouaou, ainsi que d’autres personnes, jointes à celles qui avaient complotés, soit six « femmes des hommes de la porte du harem », c’est-à-dire des épouses des gardes.
Les conjurés avaient confectionnés des figurines d’envoûtement
A ces comploteurs « intérieurs », étaient aussi associés des conspirateurs « extérieurs ». En particulier, des généraux. Car ne nous y trompons pas, même si elle était née au cœur du harem, la conspiration dépassait en ampleur une simple intrigue de palais.
Beaucoup de magie avait aussi été utilisée…
Absolument. Les conjurés avaient confectionnés des « hommes de cire inscrits », c’est-à-dire des figurines d’envoûtement comportant des formules, ou simplement le nom des personnes à envoûter.
Pour mener à bien leur conspiration contre Ramsès III, les conjurés avaient aussi eu recours à un grimoire tiré de la propre bibliothèque de Ramsès III ! Ils espéraient ainsi prendre connaissance et neutraliser les dispositifs protecteurs dont aurait pu bénéficier le Pharaon. De fait, ils n’ont pas hésité à graver des formules d’envoûtement sur des effigies des dieux et du pharaon lui-même.
Comment tout cela s’est-il terminé ?
Dans le sang. Sachons réfuter tout angélisme niais s’agissant de l’Égypte ancienne. Il n’y faisait pas bon s’opposer au pharaon. Les chefs étrangers vaincus étaient le plus souvent mis à mort. Sous Amenhotep II, on créa même un nouveau hiéroglyphe pour écrire le terme « supplice du pal », nouvellement introduit, et à eux destiné. Quant à leurs soldats, on érigeait des petites pyramides sanglantes avec leurs phallus et leurs mains coupés, et soigneusement comptabilisés – un scribe sommeille toujours sous le guerrier égyptien.
On croyait la victime d’un meurtre susceptible de se venger depuis l’au-delà
Pour les ennemis de l’intérieur, un traitement de base : la bastonnade, que dis-je, les bastonnades ! Car on savait jouer savamment sur toute une gamme, selon la gravité des faits, et l’attitude plus ou moins coopérative du prévenu. La relégation au fin fond d’une oasis lointaine ou dans les galeries étouffantes des mines d’or de Nubie sanctionnaient impitoyablement transgressions et exactions. Sans préjudice – si j’ose dire ! – de mutilations et blessures rigoureusement répertoriées et codifiées. Le plus souvent, c’était l’ablation du nez et des oreilles.
Des dessinateurs inspirés nous ont laissé sur des éclats de calcaire les portraits horrifiques des suppliciés. On crevait aussi les yeux, à l’occasion. Les séditieux et les factieux pouvaient être brûlés vifs en un holocauste purificateur. Si le suicide était souvent imposé aux coupables de haut rang, est-ce par égard à leur statut comme dans la Rome antique, où le citoyen avait l’enviable privilège d’être décapité et non crucifié ? Jouait plutôt la superstition : on croyait la victime d’un meurtre – fût-ce un meurtre institutionnel – d’autant plus susceptible de se venger depuis l’au-delà qu’elle avait eu de l’importance ici-bas. En la contraignant au suicide, on écartait la menace.
Plusieurs procès ont eu lieu concernant l’affaire Ramsès III. Lors du premier, Tiyi a été condamnée à mort, et vingt-huit personnes impliquées dans le complot ont sans doute subi le même sort. Au cours du deuxième procès, six personnes ont dû se suicider en direct devant la cour. Lors d’un troisième procès, la même peine a été appliquée à quatre autres personnes dont le prince Pentaour. Quant au quatrième procès, les victimes ne sont plus les conspirateurs, mais des juges et des gardes accusés de corruption. Ils auront le nez et les oreilles coupés.
(source :Propos recueillis par Bernadette Arnaud -Sciences et Avenir - © 2012, Les Chroniques d'Arcturius. )