Yūrei (du japonais : 幽霊, littéralement «esprit évanescent» ou «esprit indistinct») est un nom générique servant à désigner les fantômes? de la tradition japonaise. Plus rarement, ceux-ci sont appelés borei (亡霊, «esprit trépassé») ou shiryo (死霊, «esprit mort»).
Les yūrei sont parfois classés parmi les yōkai (妖怪), bien qu'au sens strict ce terme renvoie aux monstres et créatures surnaturelles non-humaines (ce qui exclut de facto les esprits des personnes défuntes). La frontière entre yōkai et yūrei est cependant assez floue (voir plus bas Les différents types de yūrei).
Origine légendaire
Le mythe du yūrei est très similaire à celui des fantômes? européens.
Dans les croyances traditionnelles japonaises, chaque être humain possède une âme nommé reikon (霊魂). Le reikon quitte le corps de la personne lorsque celle-ci décède et attend dans une sorte de "purgatoire". Dans la plupart des cas, des rites funéraires sont alors effectués par la famille, ce qui permet au reikon du mort de s'en aller rejoindre les esprits de ses ancêtres où il veillera avec eux sur ses descendants.
Cependant :
si les rites funéraires n'ont pas été réalisées, ou s'ils l'ont été de façon incorrecte ;
si la personne est morte d'une façon violente ou subite (comme lors d'un accident ou d'un meurtre);
si la personne est morte en étant animée d'émotions intenses comme la haine, le désespoir ou l'amour ;
le reikon tourmenté du défunt arrive à s'échapper du purgatoire pour revenir dans le monde des vivants, qu'elle hante sous la forme d'un yūrei.
Le fantôme? est généralement attaché à un endroit spécifique (comme le lieu de son décès ou l'endroit où son corps repose) ; ainsi, la forêt d'Aokigahara située au pied du Mont Fuji, où de très nombreuses personnes viennent se suicider, est réputée au Japon comme un lieu extrêmement hanté. Un yūrei peut également poursuivre sans relâche une personne particulière (comme son meurtrier ou son amant).
Les yūrei sont supposés se manifester entre 2h et 3h du matin, qui sont traditionnellement les heures indues au Japon. Et comme toutes les créatures surnaturelles japonaises, ils sont le plus actifs durant l'été.
Les différents types de yūrei
Yūrei est un terme générique, permettant de désigner indistinctement tout fantôme? japonais. On peut cependant en distinguer différents types :
les onryo (怨霊), des fantômes? qui cherchent à se venger d'un mal qui leur fut fait durant leur vie. La plupart des onryo sont de sexe féminin : les femmes, trompées et violentées par les hommes durant leur vie, inversent les rôles après leur mort et tourmentent les hommes. Quelques exemples de onryo masculins peuvent cependant être trouvés dans le théâtre Kabuki.
Dans les films d'épouvantes japonais modernes, les yūrei sont très majoritairement des onryo.
les ubume (産女), les fantômes? de femmes mortes alors qu'elles étaient enceintes ou que leur enfant était encore en bas-âge.
les goryō (御霊), les fantômes? de personnes nobles : chefs de clans, samourais, seigneurs... La croyance aux goryō est attestée depuis la période Heian (794 - 1185 ap. J.C.); on pensait alors que les goryō pouvait par vengeance provoquer des tremblements de terre, des typhons ou des sécheresses.
Le théâtre Nō met souvent en scène des fantômes de samourais ou de chefs de guerre. A la différence des goryō malfaisants traditionnels, ces fantômes? sont pacifiques et cherchent seulement à raconter leur histoire et leurs exploits, pour que leur nom puisse passer à la postérité.
les funayūrei (船幽霊), les fantômes? de personnes noyées en mer. Ils se confondent parfois avec l'umibōzu. Ils s'approchent des bateaux et demandant un hishaku, une sorte de baquet utilisée pour enlever l'eau du bateau. Si on leur en donne un, les funayūrei l'utilisent pour remplir l'embarcation d'eau de mer jusqu'à ce qu'elle coule.
A ces yūrei authentifiés, se rajoutent un grand nombre de créatures humanoïdes du folklore nippon qui, suivant les traditions orales, sont considérées comme des monstres n'ayant rien d'humain (yōkai) ou comme les esprits de personnes décédées (yūrei). C'est le cas de l'umibōzu, du zashiki-warashi?, et de différents monstres féminins comme la kuchisake-onna, la rokurokubi et la futakuchi-onna.
Moyens de protection
Le seul moyen de faire disparaître un yūrei est de lui apporter le repos, soit en réalisant les rites funéraires manquants, soit en apaisant d'une façon ou d'une autre les émotions qui l'agitent intérieurement (par exemple en accomplissant la vengeance du fantôme? , ou en lui permettant de consommer sa passion avec son amant).
Cependant, il peut arriver que les tourments intérieurs du yūrei soient tels que celui-ci ne puisse être pacifié par ces méthodes. Il faut alors faire appel à un prêtre bouddhiste, à un ascète ou à un miko (巫女, un "médium") pour réaliser un rituel d'exorcisme. Dans certains cas, le fantôme? est déifié ce qui permet d'apaiser son courroux.
Les yūrei sont effrayés par les ofuda (御札), des talismans de papier, de tissus ou de bois sur lesquels est inscrit le nom d'une divinité protectrice. Les ofuda sont traditionnellement placés sur les portes d'entrées, les piliers... des maisons ou des temples afin de les protéger du mauvais oeil et d'empêcher les fantômes? d'y rentrer. Un yūrei peut également être neutralisé en plaçant un ofuda sur son front (à la façon des jiang shi chinois).
Le festival annuel d'Obon (お盆), qui a lieu dans le courant du mois de juillet, sert à apaiser les âmes des défunts et à honorer la mémoire des ancêtres. Il est dit que durant cette période de l'année, les âmes reviennent dans le monde des vivants et rendent visite à leur famille.
Un important intérêt historique
Les créatures surnaturelles du folklore japonais, yūrei et yōkai, ont connu une très forte popularité à partir de la fin de l'ère Edo, au XVIIème siècle. Parallèlement à un attrait croissant du public pour le jeu hyakumonogatari kaidankai, les fantômes? devinrent un sujet de choix pour les arts japonais.
Les théâtres Kabuki et Nō mirent ainsi en scène un grand nombre d'histoires de fantômes? traditionnelles, tandis que les écrivains en composaient de nouvelles (en allant parfois trouver leur inspiration dans le folklore et la littérature chinoise !), tel Ueda Akinari et ses célèbres Contes de la lune vague après la pluie (Ugetsu Monogatari, 雨月物語 ) en 1776.
Des contes et légendes traditionnels qui font aujourd'hui figure de classiques dans le paysage horrifique japonais, furent également figés par écrit à cette époque :
le Yotsuya Kaidan (四谷怪談) : l'histoire d'Oiwa, une femme traîtreusement défigurée et tuée par Iemon son mari samourai, pour permettre à celui-ci de se remarier avec une autre jeune femme. Le fantôme? d'Oiwa revient alors hanter son mari, le rendant fou au point de massacrer sa nouvelle épouse et sa belle-famille. Le yūrei ne cesse de tourmenter Iemon qu'à la mort de celui-ci, lorsque le frère d'Oiwa vient se venger de la mort de sa soeur.
le Banchō Sarayashiki (番町皿屋敷) : une servante travaillant au service d'un samourai, Okiku, casse accidentellement une précieuse assiette faisant partie d'une collection de 10 pièces. Le maître samourai furieux la tue et jette le corps dans un puit. Après cela chaque nuit, le fantôme? d'Okiku s'élève du puit, compte jusqu'à 9 et éclate en sanglot, tourmentant le samouraï jusqu'à le rendre fou.
Le puit du château d'Himeji, dans la préfecture de Hyōgo, possède la réputation d'être encore hanté par le yūrei d'Okiku.
le Botan Dōrō (牡丹燈籠) : d'origine chinoise, cette histoire existe sous différentes versions. Un homme (un étudiant ou un samourai, suivant la version) tombe fou amoureux d'une belle inconnue, avec laquelle il a des relations chaque nuit mais qui disparaît mystérieusement chaque matin avant le lever du jour. Un voisin intrigué les espionne et constate que la femme n'est plus qu'un squelette. Le voisin demande de l'aide à des prêtres bouddhistes qui placent des ofuda tout autour de la maison, empêchant ainsi le yūrei de retrouver son amant. L'homme dépérit de désespoir, puis finit par céder et rejoint sa maîtresse fantôme? pour une dernière nuit. Il est trouvé mort au lever du jour.
Les peintres et dessinateurs ne furent pas en reste. L'une des plus célèbres et anciennes représentations connues d'un yūrei, la peinture "le fantôme d'Oyuki" de Maruyama Okyo, peinte en 1750, servit de références pour les artistes postérieurs du XVIIIème et du XIXème siècle... parmi lesquels on peut citer Toriyama Sekien, Hokusai et Tsukioka Yoshitoshi.
L'archétype du yūrei
A l'origine, l'apparence des yūrei était similaire à celle des humains vivants. Puis, les représentations de yūrei se multipliant aux théâtres et dans la peinture, le besoin se fit ressentir de pouvoir distinguer ceux-ci plus facilement des êtres humains.
L'apparence du fantôme? japonais s'uniformisa ainsi peu à peu à partir du XVIIIème siècle et des caractéristiques "typiques" lui furent attribuées :
le fantôme? porte un kimono blanc, semblable à ceux utilisés pour enterrer les morts durant l'ère Edo (1603 - 1868). Dans les croyances shintoïstes (la religion traditionnelle japonaise), le blanc est la couleur de la pureté, réservée aux moines et aux personnes décédées.
s'il est une femme, le fantôme? possède de longs cheveux noirs en désordre. Cette caractéristique, dont l'origine est parfois attribuée au théâtre Kabuki (où les acteurs portaient une perruque), résulte elle-aussi plus probablement d'une pratique funéraire de l'ère Edo. Les femmes japonaises de l'époque avaient des cheveux très longs qu'elles portaient relevés en une sorte en chignon (des cheveux lâchés sur les épaules étaient alors synonymes de pauvreté ou d'une mauvaise vie) ; cependant, les cheveux étaient détachés lors des funérailles.
les bras du yūrei sont tendus, les mains pendouillant librement au bout des poignets. Cette caractéristique résulterait d'une convention scénique du théâtre Kabuki.
le fantôme? ne possède souvent pas de pieds ni de jambes, et flotte dans les airs. Ce trait trouve son origine dans les premières peintures représentants des yūrei ; il fut ensuite repris dans le théâtre Kabuki, où pour faire illusion, l'acteur interprétant le yūrei portait un long kimono lui couvrant les pieds -dans certains rares cas, il était suspendu dans les airs au moyen d'un câble dissimulé !
les yūrei portent parfois sur le front un hitaikakushi (額隠), un petit triangle de papier ou de tissus maintenus autour de la tête par une cordelette. Il s'agissait à l'origine d'un talisman censé protéger une personne récemment décédée des mauvais esprits qui pourraient prendre possession du corps.
le fantôme? est également parfois accompagné de hitodama flottants autour de lui.
Cette apparence caractéristique du yūrei a connue une telle popularité qu'elle est encore visible de nos jours dans les films d'épouvantes japonais, comme Ringu (The Ring) et Ju-On (The Grudge).
Le stéréotype actuel du yūrei est une femme dans la presque totalité des cas. Cela s'explique en grande partie par la prédominance des fantômes? de type onryo dans les histoires traditionnelles (Yotsuya Kaidan et Banchō Sarayashiki), qui ont répandu préférentiellement dans l'esprit du public l'image d'un fantôme? féminin. Les films d'horreurs modernes n'ont fait qu'asseoir encore davantage cette image dans l'imaginaire collectif.
autre yurei connu
Une légende urbaine similaire dépeint également un fantôme féminin et cul-de-jatte nommé Kashima Reiko (仮死魔靈子), qui vivrait dans les toilettes des écoles. Lorsque qu'un enfant rentre dans les toilettes, elle lui demanderait : "Où sont mes jambes ?" Suivant la version de l'histoire, il existerait alors plusieurs réponses possibles à lui fournir pour avoir la vie sauve. Une mauvaise réponse conduirait à se faire démembrer sur le champ par le fantôme.
Une version affirme qu'il faut lui répondre : "Sur l'autoroute Meishin" (autoroute de 200 km parcourant le Sud du Japon). Kashima Reiko demande alors : "Et qui est-ce qui te l'a dit ?" ; ce à quoi il faut lui affirmer : "C'est Kashima Reiko qui me l'a dit", ce qui a pour effet de neutraliser le fantôme.
Une autre légende urbaine met en scène un fantôme masculin nommé "Akai kami, Aoi kami" (赤い紙、青い紙, soit littéralement "papier rouge, papier bleu"). Il est supposé habiter le dernier cabinet des toilettes des filles. La fille qui rentre dans les toilettes se voit demander : "Lequel tu préfères, le papier rouge, ou le papier bleu ?". Si elle répond "rouge", elle est alors tuée à coup de sabre ; si au contraire elle répond "bleu", elle est tuée par pendaison.
Cet esprit possède différents noms, tels que "Akai manto, Aoi manto" ("cape rouge, cape bleue").
Dans une variante nommée "papier rouge, papier bleu, papier blanc", selon la réponse choisie, c'est une main ensanglantée, ou un main bleue de noyé, ou une main d'une blancheur cadavérique qui attrape la personne pour l'attirer dans les cabinets.
hanako san le plus celebre des yurei
l est ainsi déconseillé d'appeler trois fois Hanako-san par son nom lorsqu'on se trouve dans les toilettes ; une main blanche sortirait alors des cabinets et s'emparerait du malheureux (cette version de l'histoire se rapproche d'une autre légende urbaine européenne, celle de Bloody Mary).
Lorsqu'on veut utiliser les toilettes, il faut simplement prendre la précaution de toquer trois fois à la porte et de demander "Est-ce que tu y es, Hanako-san ?". Si c'est le cas, elle répond alors d'une voix faible "Oui, j'y suis"'. Il est dit que celui qui serait alors assez téméraire pour pousser la porte se trouverait face à Hanako-san, qui le tuerait en l'aspirant dans les cabinets.
Certaines versions de la légende racontent que si par malheur on vient à se trouver face à Hanako-san, il est possible de conjurer le fantôme en lui montrant des copies avec des bonnes notes... ce qui aurait pour effet de la faire se volatiliser.
De même, il existe de multiples histoires expliquant les origines de Hanako-san :
selon certaines, Hanako-san serait le fantôme d'une fille morte durant la seconde guerre mondiale. Elle jouait à cache-cache avec ses amis, lorsque que son école fut bombardée ; une bombe la tua alors qu'elle se dissimulait dans les toilettes.
Hanako-san est l'esprit d'une jeune fille qui essayait d'échapper à un agresseur (un de ses parents, un pervers, un professeur amoureux qu'elle avait éconduit) ; elle fut assassiné alors qu'elle se cachait dans les toilettes de l'école.
Hanako-san était une étudiante qui s'est suicidée dans les toilettes, ou fut tuée lors d'un accident (en tombant d'une fenêtre par exemple).
edité par chantara, texte aéré pour facilité la lecture le 5.03.13