« C'était un site solennel : les murailles rocheuses [du plateau] étaient gigantesques ; la lumière se trouvait obscurcie par une double bordure de verdure, et seule une lueur confuse pénétrait jusqu'au fond (...). Une très grosse ombre noire, à huit ou dix mètres, planait dans les airs (...). Nous avions rencontré notre premier ptérodactyle. »
Cette description, que l'on doit à l'imagination de Sir Arthur Conan Doyle , pourrait s'appliquer à des paysages bien réels, à des régions inexplorées ou très peu fréquentées parce que difficiles d'accès. Existe-t-il encore sur Terre des « mondes perdus » comme ceux dont rêvait le romancier anglais ? Et serait-il possible qu'ils abritent des animaux préhistoriques tels que les ptérodactyles, ou des espèces totalement inconnues ?
Les tepuys vénézuéliens, ces montagnes tabulaires dressées en pleine forêt tropicale, dans le bassin de l'Orénoque, ont le physique de l'emploi ! Conan Doyle connaissait d'ailleurs leur existence et s'en est inspiré. Ces fragments du Gondwana (partie méridionale du continent originel, la Pangée), vieux de 180 millions d'années, se sont individualisés il y a 20 millions d'années lors de l'érosion du plateau calcaire de Roraima. Certains tepuys reçoivent la visite de touristes déterminés - ou fortunés, qui recourent à l'hélicoptère. Mais d'autres, forteresses imprenables, gardent leur mystère.
Ceux qui ont été explorés tiennent leurs promesses : quelque 5 000 variétés de plantes endémiques (qui n'existent nulle part ailleurs) ont été dénombrées dans les replis de leurs sommets ravinés. Mais il faudrait pousser plus avant ces investigations pour avoir une chance d'observer les biocénoses (communauté associant des animaux et des végétaux) qui ont pu s'y développer, à l'abri des regards. Il est toutefois peu probable que ces montagnes cachent des animaux de grande taille, car les tepuys non visités sont tout de même régulièrement survolés.
Il n'y a pas que l'Amérique du Sud pour abriter des mondes perdus en puissance. L'Ile rouge n'est pas en reste : Madagascar renferme, non loin de sa côte occidentale, de vastes lapiaz hérissés de pics calcaires. Ces rangs de pieux aiguisés par le vent et la pluie portent le nom de tsingy, car ils résonnent d'un « tsing » lorsqu'on les frappe de la main. Rares sont ceux qui osent s'aventurer entre - ou sur - leurs arêtes tranchantes, qui forment d'étroits labyrinthes. Ici et là, au détour d'une galerie, des forêts vierges en miniature ont réussi à s'implanter. Sachant que 75 % de la faune et de la flore malgaches sont endémiques, ces forêts constituent probablement de véritables viviers d'espèces encore inconnues.
Les trentes dernières années ont été fertiles en découvertes étonnantes. Ainsi, en 1977, des océanographes ont déniché un monde insoupçonné au fond de l'océan, dans le désert des abysses, entre 2 000 et 3 000 m de profondeur ! Autour de sources hydrothermales, sur les dorsales du Pacifique et de l'Atlantique, des bactéries baignant dans une eau à plus de 100 °C sont capables de synthétiser de la matière organique en l'absence de lumière. Elles ont ainsi permis le développement d'une vie complètement coupée du reste du monde.
Autre écosystème indépendant de l'énergie solaire : celui de la grotte de Movile, découverte en 1986 en Roumanie. Dans le sous-sol des plateaux calcaires de la Dobrogea, des spéléologues ont observé une faune vieille de 5 millions d'années, unique au monde. L'atmosphère de la grotte contient moins de 5 % d'oxygène. L'obscurité y est totale. Pourtant, la vie pullule. Des bactéries s'épanouissent en tirant partie de l'anhydride sulfureux, du méthane et de l'azote qui abondent. Elles forment le premier maillon d'une chaîne alimentaire qui comporte des scorpions d'eau, des cloportes, des vers, des araignées, des mille-pattes et autres nèpes...
Même l'Antarctique possède son monde perdu : la plus vieille glace du monde dissimule des gigantesques lacs. Les images du relief glaciaire mettent en évidence de grandes étendues plates, correspondant vraisemblablement à des nappes d'eau profondes non gelées qui pourraient abriter des microorganismes âgés d'un million d'années. Bien à l'abri sous une calotte glaciaire de 4 km d'épaisseur, ils auraient été protégés des changements climatiques.
A ces sites isolés, susceptibles d'avoir préservé des espèces millénaires, il faut ajouter les milieux qui génèrent de multiples espèces complètement nouvelles. La forêt amazonienne encourage ainsi l'évolution, ce qui se traduit par une émergence foisonnante de plantes et d'animaux endémiques. Des biocénoses uniques se construisent là, qui n'ont d'équivalent nulle part ailleurs. Elles pourraient fort bien constituer les « mondes perdus » de demain...
C'est peut-être aussi l'avenir des îles retirées, véritables « accélérateurs » de l'évolution. Darwin avait déjà constaté l'extraordinaire diversité de la faune insulaire en étudiant les pinsons des Galápagos : il en avait dénombré pas moins de 13 espèces vivant sur des îles différentes, et dont le bec avait évolué pour s'adapter aux ressources alimentaires disponibles.
Mais une vie humaine ne suffit pas pour observer l'évolution d'une espèce vivante. Du moins, c'est ce que l'on croyait. Or, en 1977, un groupe de scientifiques a introduit sur des îlots des Bahamas une centaine de petits lézards Anolis sagrei. Dans les années 90, Jonathan Losos, de l'université de Washington, a comparé les descendants de ces reptiles immigrés avec ceux de la population d'origine. Surprise : leurs pattes ont raccourci ! Pour s'adapter à un environnement plus clairsemé, les anoles ont perdu entre 0,5 et 1 mm de pattes, et ce, en moins de vingt ans ! Un record à l'échelle de l'évolution. Preuve que l'apparition d'espèces peut être beaucoup plus rapide que prévu.
Certes, avec ces petits lézards, on est loin des colonies de ptérodactyles chères à Conan Doyle et des meutes de vélociraptors du Monde perdu de Spielberg. Mais si ceux-ci voyaient juste ? Si seul l'isolement dissimulait l'existence de dinosaures relictuels ?
L'hypothèse n'est pas nouvelle. D'innombrables récits plus ou moins fantaisistes mettent en scène d'hypothétiques survivants de la préhistoire, du célèbre Nessie, le « monstre du Loch Ness », au Mokélé-Mbêmbé, sorte de sauropode décrit au début du siècle dernier au Congo. Le mégalodon, un requin géant long de 15 m, est censé avoir disparu il y a 100 000 ans. Mais, à en croire certaines fables du web, cet ancêtre du requin mako hanterait toujours les mers, caché dans les profondeurs abyssales...
Certes, on découvre régulièrement des espèces ayant échappé jusque-là à l'observation. Il s'agit même parfois d'espèces connues jusque-là à l'état fossile. Mais, pour être honnête, ce sont à 99 % des invertébrés... Insectes, arachnidés et autres myriapodes sont découverts presque chaque jour dans la canopée des forêts équatoriales. Mettre la main sur un nouveau mammifère ou sur un gros poisson est plus rare. On peut cependant citer l'incroyable requin grande gueule, une belle bête de près de 10 m, dont le premier spécimen fut sorti des eaux en 1976. Ou, plus récemment, le Mesoplodon peruvianus, un dauphin de 3 m de long. Sans oublier le cercopithèque (Cercopithecus salatus), un singe à longue queue trouvé en 1988 dans les forêts gabonaises. Plusieurs lémuriens (Lemur fulvus flavirons, Hapalemur aureus ouPropithecus tattersalli) ont été découverts à Madagascar au cours des dix dernières années. Et des expéditions menées par le Forest Inventory and Planning Institute (FIPI), le ministère vietnamien de l'Agriculture et du Développement rural et le Fonds mondial pour la nature (WWF) ont permis de recenser trois grands mammifères inconnus dans la réserve naturelle de Vu Quang (Viêtnam) : le saola une sorte de « chèvre » aux cornes en forme de sabre, en 1992, un cerf géant Muntjac, en 1994, et une autre espèce de cerf Muntjac, au pelage sombre, en 1997.
Emontagne-fogan 2008 au Mozambique,une forêt inconnue avait été découverte grâce au logiciel Google Earth,un monde vierge qui n'avait jamais été exploré par des scientifiques.Des centaines d'espèces inconnues,dont des singes et des oiseaux furent ainsi mis au jour.
En Nouvelle-Guinée, dans des vallées très profondes, séparées par de hautes montagnes, on a même rencontré de nouvelles populations humaines, et quelques espèces animales et végétales inconnues.Mais il s'agissait d'espèces soeurs de celles que nous connaissons déjà. Hormis, peut-être, dans les fonds marins, la probabilité de découvrir de véritables biocénoses est faible. Aujourd'hui, les grandes branches de la classifications ne risquent plus guère d'être bouleversées.
Quant aux dinosaures... Aucun stégosaure n'a encore été retrouvé au fin fond d'une jungle épaisse, ni aucun compsognathus aperçu dans les crevasses d'un tepuy. Il y a peu de chances que les « terribles lézards » surgissent un jour d'un coin reculé de la planète. Jusqu'à preuve du contraire.
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