Tout commence en septembre 1976, lorsque le laboratoire de microbiologie de l’Institut Prince Leopold de Médecine Tropicale d’Anvers (Belgique), dirigé par le Pr Stefaan Pattyn, reçoit un banal thermos en plastique bleu. Il renferme des échantillons de sang de nonnes belges apparemment décédées d’une maladie infectieuse au Zaïre. Toutes leurs vaccinations étaient à jour.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le Dr Peter Piot, un médecin-chercheur de 27 ans, son collègue belge Guido Van der Groen, et un jeune post-doctorant bolivien, René Delgadillo, décident d’ouvrir le thermos. Ils portent des gants, mais ni masque, ni combinaison protectrice d’aucune sorte. Ce qu’ils découvrent à l’ouverture de ce thermos bas de gamme sont des glaçons partiellement fondus. Il est clair que la chaine du froid n’a pas été constamment respectée. Le thermos est par ailleurs cabossé. Sur les deux tubes qu’il contient, un est brisé. Du sang se mêle à l’eau. Par chance, l’autre tube est intact.
Une note manuscrite, dont l’encre est quelque peu délavée, accompagne le précieux paquet. Elle émane du Dr Jacques Courteille, un médecin belge qui travaille à la clinique Ngaliema de Kinshasa. Il est indiqué que chacun des tubes contient 5 millilitres de sang coagulé d’une religieuse flamande, trop malade pour être évacuée hors du Zaïre pour être soignée. Elle soufre d’une malade fébrile mystérieuse pour laquelle on ne dispose d’un diagnostic de laboratoire. Pourrait-il s’agir de la fièvre jaune ?
Pour tenter d’isoler un virus, de petites quantités du sang contenu dans le thermos sont injectées dans des cellules Vero, une lignée dérivée de cellules rénales de singes verts africains et classiquement utilisée dans les cultures cellulaires. Les chercheurs injectent également du sang dans le cerveau de souris adultes et de souriceaux nouveau-nés. Quelques jours plus tard, les examens sérologiques montrent l’absence d’anticorps dirigés contre le virus de la fièvre jaune, contre celui de la fièvre de Lassa (une forme de fièvre hémorragique causée par un virus du même nom, survenue dans la ville de Lassa au Nigeria), ainsi que vis-à-vis d’autres agents viraux.
Le 12 octobre, une lignée cellulaire est prête pour analyse. Guido Van der Groen prépare une coupe ultrafine du matériel afin que son collègue Wim Jacob puisse l’examiner au microscope électronique du laboratoire de l’hôpital universitaire. Lorsqu'il regarde les photographies, le Pr Stefaan Pattyn n’en revient pas. « C’est quoi cette horreur ? », s’exclame-t-il en regardant de très longues particules virales filamenteuses, avant d’ajouter : « Cela ressemble à Marburg ! ».
Le 14 octobre, deux jours tard, le laboratoire belge reçoit un fax d’Atlanta (Etats-Unis). Karl Johnson, chef de la division des Pathogènes Spéciaux au Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC), rapporte avoir isolé un nouveau virus dans des échantillons de sang provenant de la même religieuse flamande de Kinshasa. En effet, le Pr Stefaan Pattyn avait envoyé aux Américains une partie du matériel contenu dans le fameux thermos bleu provenant du Zaïre. Le directeur belge du laboratoire de microbiologie d’Anvers avait entre temps reçu une injection de l’unité des maladies virales de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) d’envoyer la totalité de leurs échantillons de sang et de tissus infectés en Grande-Bretagne, dans un laboratoire spécialisé situé à Porton Down (Wiltshire, Angleterre). De là, les Britanniques l'envoie aux CDC d’Atlanta. Le Pr Stefaan Pattyn décide de n’envoyer finalement qu’une partie du matériel biologique reçu à son laboratoire aux Britanniques, se réservant le droit de travailler sur une partie des échantillons de sang contenus dans le fameux thermos. Pour lui, il n'est pas question que les Belges se voient confisquer la possibilité d’étudier un matériel si précieux qu'ils sont les seuls à détenir.
Cinq mois plus tard, le 12 mars 1977, la revue médicale britannique The Lancet publie trois articles relatant l’isolement et la caractérisation partielle d’un nouveau virus responsable d’une fièvre hémorragique au Zaïre.
Le premier article est signé de l’équipe des chercheurs des CDC américains. Karl Johnson, Jim Lange, Patricia Webb et Frederick Murphy ont travaillé sur un échantillon de sang du patient M.E., adressé par le laboratoire de Porton Down en Angleterre.
La seconde publication est signée de l’équipe des chercheurs britanniques. Le Pr E.T. Bowen et ses collègues de Porton Down ont travaillaient sur des échantillons provenant du Zaïre et qui leur avaient été adressés par le laboratoire du Pr Stefaan Pattyn d’Anvers. Ils avaient également reçu du matériel biologique du Soudan du sud, envoyé par des médecins travaillant sur place et principalement collecté auprès de malades de l’hôpital de Maridi. Les chercheurs ont utilisé des cellules Vero et des animaux de laboratoire (souris, cobayes) auxquels du sang infecté a été injecté dans la cavité abdominale.
Le troisième article est signé de l’équipe belge, composée de Stefaan Pattyn, Wim Jacob, Guido Van Der Groen, Peter Piot et Jacques Courteille, médecin à Kinshasa. Ces chercheurs rapportent avoir isolé un virus proche du virus de Marburg à partir d'échantillons provenant d'une femme de 42 ans (la patiente M.E.), tombée malade le 23 septembre 1976 à Yambuku. Elle est transportée par avion le surlendemain à Kinshasa, où elle développe progressivement un syndrome hémorragique. Au cinquième jour de la maladie, du sang est prélevé et envoyé à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers. Les échantillons enfermés dans un thermos arrivent au laboratoire le 29 septembre et sont conservés dans un réfrigérateur. Les inoculations à des souris adultes (injections dans le cerveau et la cavité abdominale), à des souriceaux nouveau-nés, et la mise en culture de cellules Vero, débutent le lendemain matin. Après 11 jours d’observation, les chercheurs notent des changements pathologiques majeurs dans les cellules Vero, puis découvrent avec stupéfaction au microscope électronique de curieuses particules virales filamenteuses, ayant une morphologie proche du virus de Marburg. Au même moment, ces chercheurs observent ce même virus dans le foie d’un patient décédé.
Ces trois équipes, américaine, britannique et belge, rapportent donc dans le même numéro du Lancet avoir isolé un nouveau virus de fièvre hémorragique extrêmement dangereux, responsable d’un taux de létalité très élevé.
Encore faut-il trouver un nom au redoutable agent infectieux. Pierre Sureau, chercheur de l’Institut Pasteur, membre de l’équipe des épidémiologistes et virologues présents à Yambuku, propose logiquement de le baptiser « virus Yambuku », expression utilisée par la plupart des médecins et chercheurs sur le terrain mais qui aurait sans doute contribuer à stigmatiser la population locale. Karl Johnson, chercheur aux CDC d’Atlanta, aime désigner les virus en fonction du nom des rivières qui coulent près des lieux de flambées épidémiques. Il a d'ailleurs découvert le virus Machupo, responsable d’une fièvre hémorragique en Bolivie identifiée en 1959.
Le Pr Karl Johnson précise dans son article publié en mars 1977 dans The Lancet qu’il propose, en accord avec son collègue britannique, le Pr E.T. Bowen, de nommer ce nouveau micro-organisme hautement pathogène « virus Ebola », du nom de la petite rivière qui coule vers l’ouest, au nord de Yambuku, village d’origine du patient à partir duquel le premier isolat viral a été obtenu.
Trente-huit ans plus tard, après d'autres flambées épidémiques survenues entre 1977 et 2012, le virus Ebola frappe depuis plusieurs mois
la Guinée, la Sierra-Leone, le Liberia et le Nigeria en Afrique de l’Ouest, et depuis quelques jours la
République Démocratique du Congo (ex-Zaïre). Là encore, dans la province de l'Equateur (Nord-Ouest). En virologie aussi, l’histoire peut se répéter.
M.G. JOURNALISTE a science et avenir
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