source : wikipédia
L’expérience de la Terre jumelle est une expérience de pensée proposée par le philosophe américain Hilary Putnam en 1975, qui la qualifie de « science-fiction », dans le cadre d'une réflexion sur le concept de signification (ou « vouloir-dire », traduction de l'allemand « Bedeutung »). Elle a été formulée dans un article intitulé The meaning of "meaning" (La signification de « signification »)
L'ambition de Putnam, à travers cette expérience de pensée, était de montrer que l’extension (ou référence, ou dénotation) d’un terme n’est pas déterminée entièrement par les états psychologiques du locuteur (« les significations ne sont pas dans la tête »). Il s'agissait ainsi d'une critique de la théorie descriptive de la signification. Depuis, des philosophes, comme Tyler Burge par exemple, ont proposé différentes variantes de cette expérience.
Putnam isole deux hypothèses
- Connaître la signification d'un terme revient à être dans un certain état psychologique1;
- La signification d'un terme (au sens d'intension) détermine son extension (au sens où l'identité d'intension implique l'identité d'extension)
Description de l'expérience
Putnam nous demande d'imaginer qu’il existe quelque part dans la Voie lactée une planète, nommée Terre-Jumelle, qui ressemble exactement à la Terre. Sur cette planète se trouvent même des locuteurs français. Il existe bien sûr quelques petites différences entre le français tel qu’il est parlé sur Terre-Jumelle et le français parlé sur la Terre. L’une de ces différences est liée à une particularité de Terre-Jumelle elle-même. Il se trouve que sur cette planète, le liquide appelé « eau » n’a pas pour composition chimique H2O mais une formule assez longue qui peut être abrégée en XYZ. Le liquide composé d'XYZ ne présente aucune différence observable avec le liquide composé d'H2O, il est lui aussi un liquide inodore et incolore, que l’on trouve dans les rivières, les océans etc.
L'extension du terme « eau » (au sens de eau T, c'est-à-dire de la signification qu'on lui donne sur Terre), sur la planète Terre, est l'ensemble de tous les composés d'H2O. L'extension du terme « eau », au sens d'eau TJ , est l'ensemble de tous les composés XYZ. En d'autres termes, le mot « eau », au sens d'eau T, dénote l'ensemble du liquide composé d'H2O, que l'on sache, ou non, que l'eau a pour formule chimique H2O ; tandis que le mot « eau », au sens d'eau TJ, dénote l'ensemble du liquide composé d'XYZ, que l'on sache ou non, que l'« eau » sur Terre-Jumelle a pour formule chimique XYZ.
Imaginons maintenant qu’un voyageur terrien, après avoir enquêté sur Terre-Jumelle, effectué des prélèvements, et soumis ces prélèvements à des chimistes, revienne sur Terre. On peut imaginer qu’il ferait le rapport suivant : « Sur Terre-Jumelle, “eau” signifie XYZ ». Inversement, un voyageur Terre-Jumellien, après avoir enquêté sur Terre, effectué des prélèvements, et soumis ces prélèvements à des chimistes, revenant sur Terre-Jumelle, ferait probablement le rapport suivant : « Sur Terre, “eau” signifie H2O ».
Remontons maintenant dans le temps, en 1750 par exemple, c’est-à-dire avant l’invention de la chimie moderne sur les deux planètes. Et intégrons au scénario deux nouveaux personnages : Oscar1, vivant sur Terre en 1750, et Oscar2, vivant sur Terre-Jumelle en 1750 aussi. On peut même supposer, si l’on veut, qu’Oscar1 et Oscar2 sont des doubles quasi-identiques, par l’apparence, les sentiments, la pensée, le monologue extérieur, etc. Aucun des deux ne sait que « eau » a pour extension H2O ou XYZ. Ils ont donc tous les deux les mêmes expériences et croyances à propos de l’eau. Ainsi, et si tant est que quelque chose comme un état mental étroit existe, alors il est, de même que leurs concepts, identique pour Oscar1 et pour Oscar2. Or, « l’extension du terme “eau” sur Terre en 1750 était H2O, tout comme en 1950, et l’extension du terme ‘eau’ sur Terre-Jumelle en 1750 était XYZ, tout comme en 1950 ».
On a donc deux individus ayant le même état psychologique qui, tout en utilisant le même terme, signifient ou veulent dire deux choses différentes. Ainsi, les états mentaux étroits ne déterminent pas entièrement la signification, au sens où ils ne contribuent pas à la détermination de l’extension
Selon Putnam, ce qui permet de dire que le terme « eau » garde la même dénotation en 1750 et aujourd'hui, indépendamment des connaissances en chimie du locuteur, c'est que si je montre un verre d'eau, et que je dis: ce liquide s'appelle de l'eau, « ma définition ostensive de l'eau a la présupposition empirique suivante » : l'échantillon d'eau que je montre du doigt (le verre d'eau) entretient une relation d'équivalence avec d'autres liquides que nous appelons « eau » (celui qui remplit l'Atlantique). Cette présupposition peut se révéler fausse : le verre d'eau peut contenir de l'alcool. « La définition ostensive véhicule ainsi ce que nous pourrions appeler une condition nécessaire et suffisante défaisable. » Si la condition empirique n'est pas satisfaite (il s'agit en fait d'alcool), il n'entre pas dans mon intention que ma définition ostensive soit acceptée.
Mais, selon Putnam, la relation même (x est le même liquide que y) est théorique. Ainsi, en 1750 on pouvait croire qu'XYZ entretenait la relation même-liquide avec l'eau du lac Michigan, et en 1850 nous savons qu'il n'en est plus ainsi. Mais le fait qu'un locuteur terrien aurait pu appeler XYZ eau en 1750, c'est-à-dire penser qu'il s'agit du même liquide que l'eau du lac Michigan, « ne signifie pas que la signification du terme “eau” ait changé pour le locuteur moyen pendant cet intervalle. Aussi bien en 1750 qu'en 1850 ou en 1950, on aurait montré, par exemple, le liquide contenu dans le lac Michigan pour désigner un exemple d'“eau”. »
Comme l’écrit Putnam : « Les significations ne sont pas dans la tête. » Ce qui se passe dans la tête du locuteur ne suffit pas à déterminer la signification des mots. Je peux ne pas savoir la différence entre XYZ et H2O, ou entre de l'aluminium et du molybdène, l'extension de ces termes n'en demeure pas moins la même.
On ne peut se contenter de l'état psychique, ou du contenu mental d'un locuteur donné, pour déterminer la référence des termes qu'il utilise : il faut aussi examiner l'histoire causale qui a mené à l'adoption de ces termes (l'un a appris l'usage du mot « eau » dans un monde rempli de H2O, et l'autre dans un monde rempli de XYZ). Aussi, cette expérience mène à une théorie causale de la référence.
De même, si je ne sais pas faire la différence entre un hêtre et un orme, l'extension de ces termes n'en diffère pas moins :
« Peut-on vraiment croire que cette différence d'extension soit provoquée par une différence dans nos concepts ? Mon concept d'un orme est exactement le même que celui d'un hêtre (je rougis de l'avouer). (Au passage, cela montre que l'identification de la signification – “dans le sens d'intention” – au concept ne peut pas être correcte). »
Article par Chantara
Désolée , expérience un peu longue mais tres révélatrice de certains concepts de pensée appliquée a la sciences fiction. Il est intéressant de voir comment la philosophie de l'esprit donne matière a la littérature fantastique.