L'article 13 d'une directive européenne est accusé de mettre en péril la création sur Internet en s'attaquant notamment à la culture du remix en encourageant la mise en place d’une censure automatique par les plateformes numériques de tout type d’oeuvre protégées par le droit d’auteur. Ses opposants se mobilisent pour peser sur le vote à venir des parlementaires européens, prévu pour le 20 juin.
Un éternel recommencement. En 2009, une partie de l’Internet français se mobilisait contre la loi Hadopi. En jeu : une vision du partage des oeuvres sur Internet opposée aux intérêts des ayants-droits chargés de protéger les intérêts des créateurs. La loi a donné naissance à la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, dont l'efficacité dans la lutte contre le téléchargement illégal reste à démontrer.
Près de 10 ans plus tard, Internet s’est démocratisé, en préservant une partie de ses fondamentaux en matière de créativité : le remix, le partage, la gratuité. Et ce même si les plateformes numériques comme YouTube se sont imposées comme hébergeur principal de ces oeuvres. Et voilà qu’aujourd’hui, un projet de directive européenne vient à nouveau tenter de cornaquer la création sur Internet.
Les mèmes en voie de disparition ?
L’article 13 de cette directive « sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique » menace, selon un certain nombre de défenseurs des libertés numériques une grande partie de la créativité telle qu’elle s’exprime sur le réseau.
Concernés au premier chef : les mèmes, ces images détournées qui font le bonheur des petits malins, et des autres, sur les forums et les réseaux sociaux. L’article 13 prévoit en effet que les plateformes numériques doivent « prendre des mesures pour assurer le fonctionnement des accords conclus avec les titulaires de droits pour l'utilisation de leurs œuvres ».
En clair, selon les défenseurs des libertés numériques, la mise en place d’une censure automatique par les sites Internet de tout type d’oeuvre protégées par le droit d’auteur. YouTube, par exemple, a déjà mis en place un système de filtrage automatique des vidéos utilisant des morceaux de musique protégés par le droit d'auteur, baptisé ContentID. Le dispositif avait déjà fait l'objet de critiques au motif qu'il ne peut distinguer une simple copie d'une reprise, d'un détournement ou d'une parodie. L’article 13 tend à étendre ce système aux images, aux lignes de code ou aux extraits vidéos. Et à l’imposer aux plateformes.
Les partisans de l'Internet libre mobilisés
Dans une lettre ouverte particulièrement offensive publiée par l'Electronic Frontier Foundation (EFF), plus de 70 experts, parmi lesquels l’inventeur du World Wide Web Tim Berners-Lee, le pionnier Vint Cerf ou le fondateur de Wikipédia Jimmy Wales, résument parfaitement la situation : « En demandant aux plateformes numériques d’effectuer un filtrage automatique de tous les contenus uploadés par leurs utilisateurs, l’article 13 franchit une étape sans précédent dans la transformation d’Internet d’une plateforme ouverte au partage et à l’innovation en un outil automatisé de contrôle et de surveillance des internautes. »
Il faut dire que, selon ses opposant réunis au sein du collectif Save your Internet, l’article irait jusqu’à mettre en péril la possibilité d'insérer de simples liens dans un article. Pour l'EFF, tous les sites internet proposant à leurs utilisateurs de publier du contenu se verront punis en cas du non-respect des droits d'auteur du contenu publié. L'article 13 pourrait donc mettre en péril l'existence même d'un site comme... Wikipédia.
La mise en place technique d'une telle solution pose également problème, puisqu'elle passerait par l'établissement de listes noires de contenus protégés. Interrogé par BFMTV, Pierre Beyssac, président de la société de stockage de fichiers Eriomem, précise que « l'article est particulièrement flou à propos de la façon d'éviter ou de corriger les demandes illégitimes de liste noire ».
Pour peser sur la décision des eurodéputés, les associations de défense des libertés numériques, à l'instar de la Quadrature du Net ou de la Fondation Mozilla proposent d'appeler les élus afin de leur faire « savoir que la règlementation sur le droit d’auteur doit promouvoir la concurrence et l’innovation en ligne ».