Quelques extraits:L'épopée nationale indienne, le Mahâbhârata, poème immense et complexe, s'est fixée sous la forme que nous lui connaissons au IIe siècle. On peut considérer soit qu'elle contient les premiers exemples connus de science-fiction, soit qu'elle décrit des combats entre des êtres dont les armements étaient aussi perfectionnés que ceux en usage de nos jours.
Dans un épisode, on voit les Vrishni, dont le héros Krishna est l'un des guerriers, attaqués par les forces ennemies d'un chef nommé Salva :
Le cruel Salva est arrivé monté sur le char Saubha, qui peut aller partout, et d'où il a tué nombre de jeunes et vaillants Vrishni, en dévastant implacablement tous les jardins de la ville.
Le Saubha est à la fois la cité, le navire amiral et le quartier général de Salva. Il lui permet aussi de voler où il veut. On dirait aujourd'hui que c'est le vaisseau principal, d'où Salva lance ses sorties contre l'ennemi.
Mais les héros Vrishni ne sont pas moins bien équipés et, un moment, ils tiennent Salva à leur merci. Le héros Pradyumna est sur le point de le dépecer avec une arme spéciale, quand interviennent les dieux supérieurs. « Nul, au combat, n'est à l’abri de cette flèche », lui disent-ils, et, de toute façon, Salva est prédestiné à tomber devant Krishna. Celui-ci poursuit Salva dans les airs, mais...
son Saubha s'accrochait au ciel à une distance d‘une lieue... Sans trêve, il jeta contre moi fusées, projectiles, lances, javelots, haches de guerre, javelines à triple lame, lance-flammes... Le ciel... semblait contenir cent soleils et cent lunes... et cent myriades d'étoiles. Ni le jour, ni la nuit, ni les points cardinaux ne se reconnaissaient plus.
Krishna déclenche alors ce que nous appellerions ses armes antimissiles :
Tandis qu'elles fondaient sur moi et zébraient les cieux, je les déviais avec mes traits à tir rapide, qui coupaient les siens en deux ou trois. Il régnait dans le ciel un immense fracas.
Krishna ne s'en trouve pas moins en difficulté. Il réagit, mais le Saubha, par un effet de technologie ou de magie, devient invisible. Krishna charge alors une arme spéciale — version ancienne de la fusée à tête chercheuse :
Aussitôt, pour les tuer, je chargeai une flèche qui tue en cherchant le son... Tous les Davana [troupes de Salva] qui hurlaient l'instant d'avant gisaient morts, tués par les flèches flamboyantes comme le soleil, déclenchées par le son.
Mais le Saubha a échappé à l'attaque, et Krishna lance enfin contre lui son « arme préférée », un disque en forme de soleil entouré d'un halo. Coupée en deux par l'impact, la cité aérienne s'écrase au sol.
Sur la mort de Salva s'achève cet épisode du Mahâbhârata. L'un des détails les plus curieux est le fait que l'usage d'une arme particulièrement terrible — la «flèche» de Pradyumna, dont «nul, au combat, n'est à l'abri» — se trouve interdit par les dieux. De quelle sorte d'arme s'agissait-il ? Un autre passage fournit peut-être la réponse, en décrivant les effets de la redoutable Agneya, qu'utilisa le héros Adwattan. Quand fut lancé ce « projectile ardent de feu sans fumée », ...
... d'épaisses flèches de flammes, comme un déluge, jaillirent sur le monde, encerclant l'ennemi... De denses ténèbres tombèrent sur les armées pandava. Toutes les directions se perdirent dans le noir. Des vents furieux se levèrent. Des nuages montèrent en
grondant, faisant pleuvoir sable et gravier.
Les oiseaux crièrent, affolés... Les éléments semblèrent bouleversés. Le soleil parut vaciller au ciel. La terre trembla, brûlée par la violente et terrible chaleur de l'arme. Des éléphants prirent feu, courant ça et là, saisis de folie. D'autres animaux s'affaissèrent et moururent. De tous les points de l'horizon pleuvaient, déchaînés et sans trêve, des traits de flammes.
Mais il y aura pire. Si l'effet de l'arme d'Adwattan évoque une tempête de feu, celui d'une autre arme déclenchée par Gurkha ressemble à une explosion nucléaire, avec ses retombées radioactives toxiques :
Volant dans son rapide et puissant Vimana, Gurkha lança contre les trois villes des Vrishni et des Andhaka un unique projectile, chargé de toute la puissance de l'univers. Une colonne incandescente de fumée et de feu, brillante comme dix mille soleils, s'éleva dans toute sa splendeur. C'était l'arme inconnue, la foudre d'airain, gigantesque messagère de mort, qui réduisit en cendres la race tout entière des Vrishni et des Andhaka.
Les corps étaient carbonisés au point d'être méconnaissables. Cheveux et ongles tombaient. Les vases se brisaient sans cause. Les aliments étaient empoisonnés. Les guerriers se jetaient dans les fleuves pour s'y laver, eux et leur équipement.
Si c'est là de la science-fiction, l'auteur était sûrement prophète.
(Le Mahâbhârata ; René Noorber-gen, Secrets of Lost Races.)