Asaa, un petit village idyllique danois, niché au bord de la mer de Cattégat, est atteint en ce mois de mai d’une fièvre de l’or. Dans les chaumières, les rumeurs circulent vite au sujet d’un trésor nazi enfoui sous la plage par les Allemands vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les quelque 1 200 habitants de cette bourgade tranquille, au nord-est de la péninsule du Jutland, ont les pieds sur terre et ne s’emballent pas si rapidement. Mais les confidences d’un soldat allemand de 90 ans, récemment faites au journal régional "Nordjyske", ont attisé la curiosité de plus d’un.
Wilhelm Kraft, soldat de la marine allemande, était à Asaa en septembre 1944. Il avait de 21 ans. Survivant du bombardement de son sous-marin par un chasseur anglais, un mois plus tôt au large de Bergen (Norvège), il est envoyé dans ce port danois qui abritait une base de tests de minisubmersibles opérés par un seul homme. "On nous a ordonné, avec quarante-sept autres de mes jeunes camarades, de creuser à la main trois grandes fosses de six mètres de large, quatre mètres de long et quatre mètres de profondeur", raconte-t-il. C’était une mission "top secrète", et "lorsque j’ai demandé un jour à un officier à quoi ça allait servir, il m’a répondu : cela ne te regarde pas."
A la fin des travaux, qui ont duré plusieurs semaines, un train de marchandises est arrivé à la gare d’Asaa. Le déchargement des wagons était surveillé de très près par des soldats. Wilhelm et ses compagnons n’avaient pas le droit de s’en approcher. Il a vu toutefois "de longues caisses" déchargées sur le quai. "Elles étaient destinées à être entreposées dans les trous que nous avions creusés. Elles contenaient peut-être de l’or que les nazis ont volé aux Russes au palais Catherine à Saint-Pétersbourg et qu’on n’a jamais retrouvé. Ou de l’or pris aux juifs des camps de concentration, ou d’autres métaux précieux" , pense-t-il.
Sentant la fin de sa vie proche, Wilhelm a décidé "de soulager (son) cœur" , en espérant qu’on "mettra la main sur ce trésor et qu’on le rendra à ses propriétaires ou leurs proches" .
Il est le seul survivant des ouvriers du chantier. "Je n’avais pas osé raconter mon histoire avant, par peur des sympathisants d’Hitler qui existent encore aujourd’hui. Mais le temps est venu" , dit-il.
L’homme, encore alerte, est arrivé à Asaa par train, un voyage de mille kilomètres de sa ville natale, Wallerfangen, au sud-ouest de l’Allemagne, s’installant jusqu’à la fin de mai dans un camping du village, pour retrouver, septante ans après, les cachettes ensablées sous les dunes. Il est allé sur la plage pour repérer l’endroit. Mais la ligne côtière a changé sous l’effet de l’érosion, depuis 1944. C’est pourquoi il n’a pas pu désigner avec précision les trous creusés à l’époque.
Des pièces de sous-marins ?
L’ancien soldat "ne divague pas. Son récit est très crédible" , assure Sidsel Wahlin, archéologue à Vendsyssel Historiske Museum. "Je l’ai rencontré et parlé avec lui pendant une heure. Malgré ses 90 ans, sa mémoire est étonnamment vivace. Il n’y a pas de doute qu’il dit vrai" , nous déclare-t-elle. La scientifique ne croit cependant pas que "les trous renfermaient un trésor" , même si "je ne l’exclus pas" non plus Elle penche plutôt pour "des pièces de minisousmarins que les Allemands testaient en secret et qui étaient leur nouvelle arme secrète pour gagner la bataille des mers" . Un avis partagé par les historiens locaux.
A Asaa, des survivants de l’époque, comme Martin Skovgaard, 81 ans, sont "sceptiques" , d’autant que les rumeurs sur cette caverne d’Ali Baba s’ébruitaient déjà après la guerre. "Certains avaient pris pioches et pelles, rêvant de dénicher ce trésor, en vain" , rappelle Arne Christensen, du Asaa Havnemuseum. Les révélations de Wilhelm ont en tout cas redonné corps aux rumeurs passées.
Certes la course au trésor n’a pas encore vraiment commencé sur la plage. Mais la copropriétaire du Asaa Camping, Laila Jensen, a enregistré ces derniers jours "plus de réservations que d’habitude, comme si la nouvelle attire les curieux" , nous confie-t-elle. Elle est en tout cas ravie d’accueillir son hôte allemand, étant "convaincue qu’il n’affabule pas" , et dont le récit, s’il se vérifiait, rendrait célèbre son village perdu. En attendant, l’archéologue Sidsel Wahlin met en garde les chasseurs de trésor : cette "zone naturelle protégée pourrait renfermer des gaz moutarde mortels" . Elle espère collecter des fonds pour tenter de trouver trace de ces fameuses fosses secrètes et écrire un nouveau chapitre de l’Histoire.
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