le corbeau : angèle laval
Personnalité instable, Angèle Laval inonda, en 1920, la ville de Tulle de courriers anonymes et injurieux. Ces derniers finirent par pousser deux personnes au suicide et Angèle Laval fut contrainte de répondre de ses actes devant une cour d'assises.
Angèle LavalOn sait somme toute peu de chose de la jeunesse d'Angèle Laval, la principale protagoniste de cette affaire.
Née en 1886, elle vécut à Tulle durant toute sa vie. Ayant fréquenté un collègue religieux, elle quitta celui-ci à l'âge de dix-huit ans et vécut avec sa mère dans l'attente de trouver un mari.
En 1920 toutefois, Angèle Laval, alors âgée de trente-quatre ans, était toujours célibataire et vivait toujours chez sa mère. Pour s'occuper, elle se consacrait aux bonnes oeuvres de la paroisse.
les faitsMlle Laval aime M. Moury, son collègue de bureau. Il lui préfère une dactylo. De dépit, Angèle Laval devient "corbeau". Elle affûte ses porte-plumes, noircit 3 000 ordures, convertit au moins deux anonymographes qui s'ignoraient, Mmes Laval, mère et tante. Et réserve à Tulle un sang d'encre.
Tulle va suffoquer durant plusieurs années sous un déluge de lettres empoisonnées. Angèle Laval, qui signe "L'oeil du tigre", traîne dans la boue, accuse, harcèle les maris jaloux, les femmes volages, les juges véreux. Elle jette aussi son fiel sur les ménagères, les boulangers et les mercières. Seuls épargnés, les époux Moury, qui manquent de peu le lynchage par une foule hystérisée. Angèle et les corbeaux, anonyme famille (a) normale vivant dans "une petite ville ici ou ailleurs", en tout cas quelque part en France, contaminent Toulon, Cozance, enflamment la presse de 1917 à 1922, avant de se trahir, confondus par une dictée, et par la révélation d'une lettre pas encore distribuée.
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[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Les soupçonsCe ne fut toutefois pas ce procédé qui amena à l'arrestation de l'auteur.
Au début de 1921, les enquêteurs reçurent le curé de la cathédrale de Tulle. Celui-ci dénonça Angèle Laval, l'une de ses paroissiennes les plus fidèles et chargée du catéchisme des filles. Le prêtre expliqua que lors d'une visite inopinée chez Laval, il avait aperçu sur un bureau une lettre identique à celles du corbeau. Il ajouta également que sa paroissienne ne pouvait avoir reçu le courrier car la lettre n'était qu'à moitié écrite.
Angèle Laval fut convoquée par les policiers mais nia fermement être le corbeau. Rien ne permit de la confondre.
La mère d'Angèle Laval exhorta sa fille de lui révéler la vérité. Elle l'accusa de lui avoir envoyé la première lettre, lui demanda de s'expliquer sur les journées passées enfermées dans sa chambre et, surtout, de se justifier sur le fait d'avoir posté deux lettres dernièrement. Ce fut ainsi qu'Angèle Laval apprit qu'elle avait été discrètement suivie par sa mère soupçonneuse.
Alors Angèle Laval passa aux aveux et se justifia d'une manière à peine croyable...
En 1920, ayant accepté un poste à la préfecture, Angèle était secrètement tombée amoureuse de monsieur Moury, son chef de service. Des jours durant, Angèle Laval avait attendu une invitation de cet homme mais, à la fin du mois de janvier 1920, Moury lui avait annoncé son prochain mariage.
Ce fut cette déception amoureuse qui brisa Angèle Laval et l'incita à se venger de tous. Et ce fut le lendemain que sa mère reçut la première lettre anonyme.
La confession d'Angèle à sa mère ne mit pas un terme à l'affaire. La mère Laval exigea de sa fille qu'elle se suicide; Angèle accepta sous condition d'être accompagnée dans la mort par sa mère.
Les deux femmes gagnèrent un plan d'eau proche, l'étang de Ruffaud, et se jetèrent à l'eau. Deux pêcheurs aperçurent la mère couler à pic mais parvinrent à sauver Angèle qui se débattait et appelait à l'aide. Le corps de la mère fut finalement repêché mais elle ne put être ranimée. Angèle Laval venait de faire sa seconde victime...
Le procèsAngèle Laval passa devant les assises de Tulle en avril 1922.
Sa stratégie défensive fut de tout nier, même l'évidence.
L'expertise graphologique, faite par l'un des rares spécialistes de l'époque, la désigna sans aucun doute possible comme l'auteur des lettres anonymes.
Le tribunal signala également le fait que plus aucune lettre ordurière n'avait été envoyée à dater de l'incarcération d'Angèle Laval.
Un psychiatre s'exprima sur la personnalité de l'accusée et cela joua certainement en faveur du corbeau. Angèle Laval fut décrite comme une personne désespérée. Le psychiatre déclara : "L'accusée est un être fruste et naïf. Un être, surtout, qui, à la suite de circonstances qu'elle n'a pas voulu préciser, a reçu une blessure profonde. Le jour où Angèle Laval a écrit sa première lettre, elle devait avoir le sentiment de n'être plus rien. Au sujet des mots obscènes et des dessins pornographiques, elle en connaissait certainement plus que nous ne le pensions, du moins en théorie. Je suppose qu'il s'agit du résultat de lectures interdites ou de conversations surprises ici ou là".
Au terme des débats, Angèle Laval fut condamnée à un mois de prison et à une amende de cent francs. Il s'agissait d'un verdict indulgent, prononcé à l'égard d'une personne instable et désespérée et qui, au fond, n'avait jamais souhaité la mort d'autrui.
A sa libération, Angèle Laval fit un séjour d'un an au sein d'un établissement psychiatrique. Puis, elle rejoignit l'immeuble qu'elle avait partagé avec sa mère et y passa, seule, les quarante-cinq années qui lui restaient à vivre.
Angèle Laval mourut en novembre 1967.
Elle inspira à Jean Cocteau la pièce "La machine à écrire", et au cinéaste Clouzot le film "Le corbeau"...