Les animaux peuvent-ils nous prévenir des catastrophes naturelles ?
Au cours de l'histoire, de nombreuses catastrophes naturelles ont été pressenties par les animaux. Mais la plupart des scientifiques restent sceptiques.
Les oies détecteraient les émissions de gaz radioactifs qui se produisent peu avant que la terre ne tremble. © Mychele Daniau/AFP
Lorsque notre chat agit étrangement, que les éléphants se mettent soudainement en marche ou que des bancs de poissons s'enfuient à toute allure, il est possible que quelque chose se prépare. Les animaux peuvent-ils nous servir de signal d'alarme avant une tempête, un tremblement de terre, un tsunami ? Voici des éléments de réponse.
Martinique, 8 mai 1902
La montagne Pelée s'apprête à entrer en éruption, ne laissant derrière elle que 2 survivants parmi les 30 000 habitants : Louis Cyparis, un chanceux prisonnier protégé par les murs épais de sa geôle, et Léon Compère, modeste cordonnier dont la maison était étonnamment bien abritée. Pourtant, tous les animaux ont fui les abords du volcan quelques jours avant. "Lors de cet épisode, la remontée du magma s'est accompagnée de sismicité, de l'apparition de nouvelles fumerolles. Elle a engendré la résurgence des nappes phréatiques réchauffées qui ont produit des coulées boueuses. Les animaux ont peut-être pu ressentir ces changements dans leur écosystème", explique Jean-Christophe Komorowski, volcanologue et professeur à l'Institut de physique du globe de Paris. Malgré cela, aujourd'hui encore, on ne se fie qu'aux données fournies par l'homme et ses outils... Pour la Martinique, on mise sur des cartographies du risque sismique. On imagine des scénarios, on évalue les risques et les conséquences. Mais jamais on ne pense à inclure la prémonition des (pas si) bêtes.
Fréjus, 9 décembre 1959
Le barrage de Malpasset, construit en amont de la ville, cédera dans la soirée. À 21 h 13, tandis que certains habitants entendent "comme une sorte de grognement", un bruit assourdissant et des grincements de ferrailles, une vague viendra sous peu inonder la localité, emportant avec elle plus de 400 victimes. La totalité des chats avait déserté l'endroit, bien avant que n'advienne la catastrophe... La capacité auditive de l'homme varie de 20 et 20 000 Hz. Celle du félin peut percevoir une fréquence supérieure de 20 à 100 kHz...
Sri Lanka, 26 décembre 2004
Il est 0 h 58. Un séisme dans l'océan Indien produit un terrible tsunami, qui va ravager l'île, pénétrant ses terres jusqu'à 3 kilomètres et recouvrant environ 300 hectares de terrain. Des vagues effrayantes balaient alors le paysage, faisant s'effondrer les immeubles et transformant chaque objet en projectile. Bilan : plus de 30 000 morts, près d'un million de sans-abri... Mais très peu de cadavres d'animaux sauvages. Et aucune trace des 200 éléphants du parc national de Yala, qui s'étaient mis en route il y a fort longtemps. Une prouesse réalisée grâce à leur capacité à détecter les infrasons émis par le déplacement des plaques continentales. En dessous de 20 Hz, et ce, à des centaines de kilomètres, les signaux qu'ils interceptent via leurs pattes remontent à leur cerveau...
Une fourmilière d'exemples
On pourrait continuer la liste : le 4 mars 1977, en Roumanie, c'est une heure avant que la terre ne tremble que les poules et les vaches ont tenté de s'enfuir. En 1954, à Orléansville, en Algérie, c'est un jour avant que la cité ne soit détruite par un séisme que les animaux domestiques l'ont quittée. Des témoins affirment qu'une heure avant que la bombe atomique ne vienne ravager Hiroshima, des centaines de chiens se sont réunis pour aboyer à la mort. Même constatation à Messine, en Italie, où un tremblement de terre a secoué la ville en 1908.
Idem dans les océans : des fugues soudaines de saumons apeurés, des vagues de baleines échouées sur les plages, des requins qui désertent leur lieu de vie présagent un grand bouleversement. Sur la terre, les serpents sortent de leur trou en cas de variation des champs magnétiques du sol. Les poules, les oies et les pigeons, selon certains chercheurs, auraient la capacité de détecter les émissions de gaz radioactifs. Ces émissions ont lieu lorsque les roches souterraines qui retiennent les gaz en profondeur se fendillent et se meuvent peu avant que la terre ne tremble. Enfin, dans les airs, les oiseaux prennent constamment leur envol avant une intempérie. Prévisionniste à Météo-France, François Gourand nous apprend qu'une brusque variation de la pression atmosphérique, couplée à un changement brutal de la force ou de la direction du vent, est annonciatrice d'une grosse tempête ou d'un ouragan. Des phénomènes progressifs, qui peuvent être prévenus trois à cinq jours à l'avance. Mais ce n'est pas le cas des orages ni des tornades, "seuls exemples très localisés, très rapides et à très petite échelle", ajoute le météorologue. Dans tous ces cas de figure, une connexion à mère Nature par le biais des bestioles n'est-elle pas envisageable ?
Des avis divergents
Du côté des chercheurs, c'est presque constamment le même son de cloche. "On en a entendu parler... mais rien n'a été prouvé." Pour ce faire, il faudrait des budgets et des experts. On admet que certaines espèces, comme les abeilles, ont une sensibilité par rapport au champ magnétique terrestre. "Mais c'est une fonction de boussole, rien de plus. Il y a peut-être quelque chose, en tout cas rien de convaincant." C'est "un vieux rêve, même", conclut Fabrice Cotton, Professeur à l'université Joseph-Fourier et sismologue à l'Institut des sciences de la terre de Grenoble. Lui "n'y croit pas une seule seconde". Il évoque le cas des Chinois, qui ont beaucoup investi dans ce type de recherches pour peu de résultats. En effet, en 1975, la ville de Haicheng a été évacuée par les autorités après que des comportements anormaux chez les animaux furent constatés. Quelques semaines plus tard, un séisme de magnitude 7,3 sur l'échelle de Richter venait secouer la région. De nombreuses vies furent sauvées. L'année suivante, personne ne put pour autant prédire le tremblement de terre de Tangshan, qui causa la mort de plus de 200 000 personnes. Ainsi, à la fin des années 1990, les Chinois et les Japonais abandonnèrent peu à peu leurs travaux dans ce domaine.
Partant du constat qu'il y a manque de fiabilité de la part des animaux, la communauté scientifique ne souhaite donc pas s'investir davantage afin de passer à de l'opérationnel. Soit. Les dépenses continueront donc d'arriver après l'événement, une fois le cataclysme passé et les dégâts humains établis. Pour ce qui est des séismes, la protection parasismique demeurera la seule mesure, les systèmes d'alerte sont déjà mis en place. L'unique explication consiste à dire que les animaux ressentent les ondes P (les ondes primaires, moins énergétiques) - tout comme les dispositifs des professionnels, avant l'arrivée des ondes S (secondaires). Certes une fausse évacuation serait un risque, mais quitte à choisir... Sophie Lambotte, responsable du réseau national de surveillance sismique (ReNass), reste ferme : "On ne peut pas mettre quoi que ce soit en oeuvre avant d'avoir compris le mécanisme des animaux. Et puis la mise en place du suivi d'un animal s'avère complexe." Et au ministère de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, c'est silence radio.
Pourtant, certains ne réfutent pas totalement l'idée. "Il y a des informations perçues par les animaux, mais nous avons aussi ce que l'on appelle l'incertitude épistémique : une méconnaissance de leur mode de fonctionnement", rappelle Jean-Christophe Komorowski, pour qui mettre en place un système de prévention grâce aux animaux ne relève pas forcément de l'utopie : "On a bien entraîné des chiens à reconnaître des odeurs, des produits explosifs, ou à retrouver des êtres humains sous les décombres..." Alors, pourquoi ne pas se servir de cet instinct bestial pour prévenir des pertes humaines ?
source : le Point