Qu’éprouve-t-on en mourant ? Le récit d’une infirmière en soins palliatifs
Penny Sartori a travaillé pendant plus de 20 ans en thérapie intensive et a été confrontée à tant de choses irrationnelles qu'elle a tenté d'y apporter une explication.Les unités de soins palliatifs ou de thérapie intensive des hôpitaux ont un rapport étroit avec la mort, donnant lieu à de nombreuses expériences qui échappent à toute explication rationnelle : certains patients sentent le moment exact où ils mourront, d’autres semblent décider du jour et de l’heure, précipitant ou retardant le trépas, d’autres encore font des rêves prémonitoires ou pressentent la mort imminente d’un proche sans même savoir qu’il est hospitalisé ou a subi un accident.
Seuls les professionnels de la santé qui travaillent au plus près des patients en phase terminale connaissent la portée et la variété de ces étranges expériences. La science n’ayant été capable d’offrir aucune sorte de réponse, celles-ci sont généralement décrites comme des événements paranormaux ou surnaturels. Une étiquette « bien trop vague pour des expériences d’une telle ampleur », affirme l’infirmière britannique Penny Sartori. Elle travaille depuis plus de vingt ans dans une unité de thérapie intensive.
Une carrière suffisamment solide pour avoir vu de tout, pour avoir relevé tant de points communs et pu élaborer des hypothèses autour de ces phénomènes, au point d’en faire l’objet d’une recherche doctorale et d’un ouvrage The Wisdom Of Near-Death Experiences (La sagesse des expériences de mort imminente) publié en 2014 par Watkins Publishing.
Même ressenti chez les proches
Au cours de sa carrière, Penny Sartori a rencontré des patients qui ont vécu des expériences de mort imminente (EMI) et de mort partagée (EMP) avec un parent ou autre qui assiste au décès et éprouve, au moment de la mort de ce proche, le même ressenti que lui. La quantité et la répétition des mêmes schémas lui ont fait écarter toute hypothèse de hasard ou d’impossibilité à trouver un raisonnement logique à ce phénomène diffus.
Entre 70 et 80 % des patients attendent d’être seuls dans leur chambre pour mourir.
Pour l’infirmière britannique, « notre cerveau est indépendant de la conscience. Il est le moyen qui sert à la canaliser, si bien qu’il est en réalité physiquement étranger au corps ». Cette idée expliquerait, selon elle, que « l’âme et la conscience puissent s’expérimenter en marge du corps », comme dans les EMI ou dans la méditation bouddhiste. Les exemples apportés dans son livre sont très nombreux, et tous révèlent que les patients vivant une expérience de mort imminente ont généralement une approche plus sereine et plus heureuse de la mort, tout comme leurs familles qui présentent la mort de leurs proches. La raison ? Selon les différentes rencontres qu’elle a faites avec ces derniers, ceci viendrait de leur conviction qu’il ne s’agit que de la fin de leur vie terrestre.
Que ces personnes soient croyantes, agnostiques, ou athées, toutes ont vécu en rêve ou eu la vision que leur proche s’en irait de ce monde guidé par quelqu’un (un conjoint déjà mort, un anonyme ou un ange), avec une nette sensation « de paix et d’amour ». Au début, « je m’étonnais de voir certains proches ne pas avoir l’air d’éprouver de tristesse à l’annonce de la mort de l’être aimé, mais après avoir parlé avec eux je me suis rendue compte que leur tranquillité, en réalité, était due au fait qu’ils avaient cette sensation de transcendance de la vie », rapporte Penny.
Choisir le « meilleur » moment pour mourir
Le cas est différent chez les personnes qui, sachant quand elles mourront, demandent de rester quelques minutes seules ou le font précisément au moment où le parent, qui est tout le temps à leur chevet, sort un instant pour aller aux toilettes. Et puis il y a le cas de patients qui meurent aussitôt après avoir vu le parent ou le proche qui n’a pas pu arriver avant parce qu’il était à l’étranger, ou alors après que tous les papiers liés à sa succession sont prêts. « On dirait qu’ils attendent le bon moment pour se permettre de mourir », a relevé l’infirmière. Cette sensation de transcendance est perceptible chez les croyants comme chez les agnostiques ou les athées.
Le directeur du Tucson Medical Center John Lerma, spécialisé en soins palliatifs, a recueilli des témoignages très similaires à ceux cités par l’infirmière, Il en a fait un ouvrage intitulé Into the Light : Real Life Stories About Angelic Visits, Visions of the Afterlife, and Other Pre-Death Experiences (Dans la lumière : des histoires de vie vraies sur les visites des anges, les visions de l’au-delà et autres expériences vécues pendant les moments précédant la mort, New Page Books). Selon ses données, entre 70-80 % des patients attendent que leurs proches sortent de leur chambre pour mourir.
Penny Sartori refuse de croire que ces expériences sont le résultat d’hallucinations. « Il est impossible que différentes personnes voient la même chose et soient capables de la décrire de la même façon s’il s’agit vraiment d’une perception déformée de la réalité », estime-t-elle. On retrouve ici la théorie de base du fameux professeur Raymond Moody, médecin et docteur en philosophie, connu pour ses travaux sur les expériences de mort imminente à la fin des années 70 du siècle passé. Ses études sur les expériences partagées par des personnes qui accompagnent ceux qui se trouvent en transe de mort, ont « ouvert un champ totalement nouveau d’étude sur la question de la vie après la mort ». Les personnes qui rapportent ces expériences sont saines. « Généralement, elles sont assises à côté du lit de mort, quand survient un de ces merveilleux et mystérieux phénomènes. Et comme elles sont saines et pas en danger de mort, on ne peut leur attribuer ce qui leur arrive à un manque de chimie cérébrale, nous devrons aller au-delà de cet argument », affirme le scientifique.
Nouveaux champs d’étude
Et tirer « cyniquement » l’exemple de personnes hospitalisées à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer qui retrouvent subitement la raison, pour expliquer ce phénomène à partir des dysfonctionnements cérébraux, ne tient pas non plus, estime Penny Sartori.
Et d’expliquer : « Ces patients sont à un stade terminal de la maladie, incapables d’articuler un mot quand subitement, elles se mettent à parler de manière tout à fait cohérente, interagissant avec des personnes qui ne sont pas dans la pièce, le plus souvent avec des parents décédés (…). Il arrive en général qu’après cette expérience, elles cessent d’être agitées et finissent par mourir, un sourire sur le visage, d’habitude un ou deux jours plus tard ».
Penny refuse cette idée selon laquelle les médicaments sont à l’origine de telles visions, car il est bien connu, dit-elle, « que ceux-ci provoquent de l’anxiété, donc tout le contraire de ce que les patients éprouvent ».