L'
homme de Piltdown, Homo (Eoanthropus) Dawsoni, a été considéré au début du XXe siècle comme un fossile datant de l'Acheuléen (Paléolithique inférieur) et comme un chaînon manquant entre le singe et l'homme en raison de ses caractères simiens (mâchoire) et humains (calotte crânienne).
Charles Dawson était un avocat, archéologue, paléontologue et géologue amateur.
En été 1899, Dawson se promenait sur une route du Sussex, à soixante kilomètres au sud de Londres. Près d'une ferme de Piltdown, il remarqua que la route avait été réparée avec du gravier rougeâtre, susceptible d'être fossilifère. Il demanda aux ouvriers si l'on n'avait pas trouvé d'ossements dans la carrière et qu'on le prévînt dans ce cas.
Peu après, un ouvrier lui apporta un fragment d'os plat, rougeâtre comme les graviers ; Charles Dawson reconnut un morceau de crâne humain. Durant les trois années qui suivirent, il fouilla les déblais et trouva quelques fragments supplémentaires. En février 1912, Dawson annonça au paléontologue Arthur Smith Woodward, président de la Société de géologie de Londres et conservateur du département d'histoire naturelle au Muséum d'histoire naturelle de Grande-Bretagne, qu'il avait trouvé des fragments d'un crâne humain particulièrement intéressants.
Les ossements, usés et rougeâtres, semblaient contemporains de ce gravier ancien bien que le crâne eût une forme moderne. Les fossiles d'animaux trouvés au même endroit (dent d'éléphant, d'hippopotame…), de la même couleur, suggéraient un âge d'un demi-million d'années.
Bien que cette mâchoire fût fortement teintée et eût l'apparence de l'ancienneté, elle semblait d'origine simienne. Elle était cassée au niveau du menton et du condyle maxillaire, les deux endroits qui permettent une identification sûre. Deux molaires présentaient une usure plate, ce qui est usuel chez les humains mais inconnu chez les singes. Au Muséum d'histoire naturelle de Grande-Bretagne, Woodward assembla la mâchoire et le crâne, bouchant les éléments manquants avec son imagination et de la pâte à modeler.
Le crâne était semblable à celui d'un homme moderne et la mâchoire à celle d'un singe aux molaires bien usées, ce qui montrait, avait expliqué Woodward aux savants stupéfiés, qu'ils avaient trouvé les premiers fragments fossiles du fameux « chaînon manquant », cette forme intermédiaire qui devait, comme Darwin l'avait prédit dans L'Origine des espèces (1859), démontrer le passage du singe à l'homme, via un ancêtre commun aujourd'hui disparu.
L'homme de Néandertal, découvert en 1856, s'intercalait naturellement entre le pithécanthrope, découvert à Sumatra par Eugène Dubois en 1887, et l'homme actuel. Cependant, avec sa mâchoire de singe, l'Homme de Piltdown ne ressemblait pas aux autres hominidés fossiles et semblait inclassable. Plus âgé de quelque 500 000 ans que l'homme de Néandertal, il alliait paradoxalement une mâchoire de singe à un crâne d'homme moderne. Woodward en conclut que l'homme de Néandertal était dégénéré et que l'homme de Piltdown devait être le véritable ancêtre de l'homme moderne.
La découverte de la supercheriePerplexes, les savants continuent d'étudier les moulages du crâne généreusement fournis par le British Museum dans lequel il est exposé. Il faudra attendre 1949, un an après le mort de Woodward, pour découvrir l'énorme supercherie. Le docteur Kenneth Oakley, membre du British Museum, soumet les ossements de Piltdown à une datation au fluor (la quantité de fluor augmente avec l'âge, car les fossiles s'imprègnent du fluor contenu dans les roches où elles gisent).
Verdict : le crâne ne peut pas provenir du gisement où il a été trouvé. En y regardant de plus près, Oakley se rend compte que les os ont été teintés au bichromate de potassium. Et ce n'est pas tout : les dents ont été artificiellement limées pour faire croire à une usure humaine, et la machoire appartient à un Orang-Outan ! Quant à la boîte crânienne, elle vient tout bêtement d'un homme moderne. Même les fossiles de mammifères trouvés dans le même gisement sont des faux, ils ont été rapportés de Malte et de Tunisie.
Le 21 novembre 1953, Le Museum d'histoire naturelle de Grande Bretagne doit avouer dans son bulletin que l'homme de Piltdown est une imposture. Une datation au carbone 14 en 1959 enfonce le clou, en datant le crâne de l'époque du Moyen-âge et la mâchoire de 500 ans au plus.
Qui est l'auteur de ce canular ?Le plus vraisemblable, c'est que Dawson lui-même ai truqué le fossile. Mais pourquoi aurait-il monté cette imposture ? De plus, ce n'est pas lui qui a pu se fournir les dents d'hippopotame et d'éléphant. Woodward semble aussi être hors de cause, son rôle se bornant à accréditer les trouvailles de Dawson.
De nombreux auteurs ont donc avancé chacun leur coupable : Grafton Elliot Smith, un anatomiste australien associé aux recherches, William Ruskin Butterfield, le conservateur du musée de Hastings qui aurait voulu se venger de Dawson, Samuel Allison Woodhead, un ami de ce dernier… Mais la piste la plus sérieuse semble être Teilhard de Chardin, un jeune jésuite à l'époque. Ce dernier aurait voulu faire une blague à son ami Charles Dawson, et voyant l'ampleur de l'affaire, n'aurait pas osé faire machine arrière.