LA CHASSE AUX SORCIERES:A partir de la fin du moyen-âge (13e siècle), après la Grande Peste Noire surtout (14e siècle), les "sorcières" étaient pourchassées et brûlées vives sur les bûchers de l’Inquisition, puis des protestants. Prêtresses païennes "idolâtres" des anciens cultes "dianiques" de la Déesse-Mère, on les accusait souvent de fréquenter les collines au fées. Toute trace de l’ancien ordre devait être effacé. Il faut aussi rapprocher ces sabbats de fêtes anciennes, comme Beltaine au printemps, qui étaient des fêtes de la fécondité. Il a pu y avoir, au Moyen Âge et à la Renaissance, des résurgences de ces cultes.
Cependant, d’après les archives qui nous sont parvenues, les protestants auraient assassiné bien plus de "sorcières" que les catholiques. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les protestants ont éliminé du christianisme toute trace de paganisme, alors que le catholicisme les a assimilées : culte des saints, de la Vierge, et les nombreuses fêtes du calendrier…
Le pape, à la demande de son inquisiteur exerçant en Allemagne Conrad de Marbourg, édicte en 1233 la première bulle de l’histoire contre la sorcellerie, la Vox in Rama en y décrivant le sabbat des sorciers et leur culte du diable. Parfois, la contestation relève d’un désir de liberté. En réaction aux fièvres millénaristes fleurissent des sectes dans la mouvance du Libre-Esprit, comme les bégards et les lollards qui réclament une plus grande liberté des corps et des consciences.
1326: Vivant dans la crainte des poisons et sortilèges, le pape Jean XXII promulgue la bulle « Super Illius Specula » qui fait de la sorcellerie une hérésie. Pratiques magiques, sorcellerie et hérésie désormais ne font plus qu’un.
Une contestation essentiellement féminineOn trouve dans ces sectes un grand nombre de femmes. Elles expriment leur désaccord avec l’Église, en réclamant une libéralisation du statut de la femme. Les béguines, surtout présentes en Europe du Nord, cristallisent ce courant de subversion des mœurs. Elles vivent au sein de communautés autonomes, mais ne sont pas ordonnées. Elles sont autonomes en vivant d’aumônes, mais aussi de leurs salaires pour leurs soins médicaux ou leurs travaux textiles. Surtout, elles prônent une plus grande liberté sexuelle et récusent l’autorité des hommes. Marguerite Porete, une béguine, pousse la provocation jusqu’à publier à la fin du XIIIe siècle un traité de théologie, le Miroir des âmes simples anéanties. Poursuivie par l’Inquisition, elle est condamnée pour hérésie et est brûlée en 1310.
Des lectrices marginales de la BibleLe cas des béates est particulièrement révélateur. Des femmes indépendantes réunissent autour d’elles de nombreux fidèles, et disent avoir des visions parfois même des entretiens avec le Christ ou la Vierge Marie, mettant en péril l’unité de la doctrine catholique (bien qu’à échelle réduite). Certaines d’entre elles sont condamnées pour sorcellerie tandis que d’autres, rattachées à un confesseur qui les corrige, sont canonisées.
Une affaire lucrativeLe pape Innocent VIII (1432-1492, pape à partir de 1484) avait menacé de sentences terribles tous ceux qui s’opposeraient à son décret d’extermination des sorcières. C’est donc sous la menace de la plus haute sanction papale que commença l’extermination quasiment orgiaque des sorcières. L’esprit orgiaque de l’extermination «des sorcières» fut encore plus excité dans la mesure où les inquisiteurs, mais également les juges et les confesseurs qui, faisant fi sans vergogne du secret de confession, recevaient des primes pour chaque «sorcière exécutée». Un dicton de l’époque disait que le moyen le plus rapide et le plus facile de s’enrichir était de brûler des sorcières.
Le marteau des sorcièresLe Malleus Maleficarum (c’est-à-dire marteau contre les sorcières), est un traité des dominicains allemands Henri Institoris (Heinrich Kramer) et Jacques Sprenger, publié à Strasbourg en 1486 ou 1487, commandé et approuvé par le pape Innocent VIII en 1484. L’ouvrage fut réédité de nombreuses fois, et largement utilisé en Europe occidentale, malgré son interdiction en 1490, peu après sa publication, par l’Église catholique, celle-ci le considérant comme étant en contradiction avec l’enseignement catholique en matière de démonologie (le pouvoir des démons de causer des catastrophes naturelles, par exemple, est une idée qui fut déclarée fausse lors du premier concile de Braga vers 561 dans le canon 8).
NB : le Marteau des Sorcières a été interdit par l’Église non pas pour les traques, les tortures, les supplices et mises à mort, mais uniquement pour une petite divergence théologique; les démons n’auraient pas le pouvoir de provoquer des catastrophes naturelles.
La femme, alliée du MalLa première partie du livre traite de la nature de la sorcellerie. Une bonne partie de cette section affirme que les femmes, à cause de leur faiblesse et de l’infériorité de leur intelligence, seraient par nature prédisposées à céder aux tentations de Satan. La sorcellerie recrute surtout parmi les femmes. Le titre même du livre présente le mot maleficarum (avec la voyelle de la terminaison au féminin) et les auteurs déclarent (de façon erronée) que le mot femina (femme) dérive de fe + minus (foi mineure). Le manuel soutient que certains des actes confessés par les sorcières, comme le fait de se transformer en animaux ou en monstres, ne sont qu’illusions suscitées par le Diable, tandis que d’autres actions comme, par exemple, celles consistant à voler au sabbat, provoquer des tempêtes ou détruire les récoltes sont réellement possibles. Les auteurs insistent en outre de façon morbide sur l’aspect licencieux des rapports sexuels que les sorcières auraient avec les démons.
Des femmes sexuellement libérées et dominantesOn reproche aux sorcières leur sexualité. On leur prête une sexualité débridée. D’après le Marteau des sorcières Malleus Maleficarum, elles ont le « vagin insatiable ». Les sabbats qu’on leur reproche sont l’occasion d’imaginer de véritables orgies sexuelles. Mais l’Église stigmatise surtout une sexualité subversive. Selon l’Église, les sorcières apprécient particulièrement les positions « contre nature » : en particulier, elles chevauchent volontiers leurs compagnons, ce qui symboliquement renverse le rapport "naturel" de domination. On retrouve ici dans la sorcière la figure de Lilith, que la tradition juive présente comme la première femme d’Adam. Formée par Dieu à l’égal de l’homme, Lilith aurait abandonné Adam car il refusait de se livrer au jeu de l’amour en dehors des positions traditionnelles (position du missionnaire).
La marque du diableLa seconde partie explique comment procéder à la capture, instruire le procès, organiser la détention et l’élimination des sorcières. Cette partie traite aussi de la confiance qu’on peut accorder ou non aux déclarations des témoins, dont les accusations sont souvent proférées par envie ou désir de vengeance ; les auteurs affirment toutefois que les indiscrétions et la rumeur publique sont suffisantes pour conduire une personne devant les tribunaux et qu’une défense trop véhémente d’un avocat prouve que celui-ci est ensorcelé. Le manuel donne des indications sur la manière d’éviter aux autorités d’être sujettes à la sorcellerie et rassurent le lecteur sur le fait que les juges, en tant que représentants de Dieu, sont immunisés contre le pouvoir des sorcières. Une grande partie est dédiée à l’illustration des signes, dont la glossolalie, la voyance et la psychokinèse et les « marques du diable » (pattes de crapaud au blanc de l’œil, taches sur la peau, zones insensibles, maigreur, …). Elle est dédiée aussi aux techniques d’extorsion des confessions, des preuves (notamment la pesée et l’ordalie par l’eau glacée) et à la pratique de la torture durant les interrogatoires : il est en particulier recommandé d’utiliser le fer rougi au feu pour le rasage du corps en son entier des accusées, afin de trouver la fameuse « marque du Diable », qui prouverait leur supposée culpabilité.
80% des victimes sont des femmesSuite à la publication de cet ouvrage commence un mouvement d’arrestations systématiques dans toute l’Europe. Principalement en Allemagne, en Suisse et en France, mais également en Espagne et en Italie. Cette première vague dure environ jusqu’en 1520. Puis une nouvelle vague apparaît de 1560 à 1650. Les tribunaux des régions catholiques mais surtout des régions protestantes envoient les sorcières au bûcher. On estime le nombre de procès à 100 000 et le nombre d’exécutions à environ 50 000. Brian Levack évalue le nombre des exécutions à 60 000. Anne L. Barstow révise ces nombres et les élève à 200 000 procès et 100 000 exécutions en prenant en compte les dossiers perdus. Mais Ronald Hutton fait valoir que l’estimation de Levack prenait déjà en compte les dossiers manquants, lui-même penche pour 40 000 exécutions.
1599 – des religieux aux laïcsAu XVIIème siècle, en France, et en Europe, les tribunaux de l’Inquisition tombèrent en désuétude dans la répression de la sorcellerie, les tribunaux royaux prenant le relais. En Espagne, l’Inquisition resta cependant vigoureuse jusqu’au XVIIIème siècle. Le temps des longs procès de l’inquisition est révolu. Les laïcs prirent le pas sur les clercs en montrant encore plus de cruauté. Leur seul problème, c’est qu’il leur fallait un minimum de preuves avant d’envoyer des innocents au bûcher. La solution fut donnée par Jacques 1er d’Angleterre (protestant) qui, dans son livre consacré à la Démonologie, explique que l’on peut prouver la culpabilité d’une sorcière en la piquant ou en la plongeant dans l’eau (si la piqûre ne saigne pas, c’est le signe certain que l’on est en présence d’une sorcière. De même, toute femme plongée dans l’eau est à coup sûr une créature du démon si elle s’avise de surnager).
Une spécialité de l’Allemagne protestante ?Au cours des 16ème et 17ème siècles, en Allemagne, plus de 100.000 personnes furent torturées et exécutées à la suite d’accusations de sorcellerie. Dans les diocèses de Cologne, Trèves, Cambrai, Malines, Tournai, Anvers, Namur, Metz et Liège, 17 conciles, tenus entre 1536 et 1643, avaient appelé à la répression de la sorcellerie. Les autorités protestantes firent de même. Aux Provinces-Unies, entre 1580 et 1620, 15 synodes condamnèrent et excommunièrent les sorciers. Dans la deuxième moitié du 16ème siècle, l’archevêque Jean de Trèves fit brûlé tant de sorcières que dans deux villages il ne resta plus que deux femmes. Il fit brûler, entre 1587 et 1593 et ceci dans 22 villages, 368 "sorcières".
L’évêque des sorcièresPendant la deuxième moitié du 17ème siècle, au cours duquel un million de personnes, bien souvent des femmes, furent victimes de ce processus d’extermination. A Wurzburg en Allemagne, le Prince Evêque Philippe Adolf von Ehrenberg qui régna de 1623 à 1631, fit brûler 900 "sorcières", dont 219 sorciers, 18 jeunes garçons en âge d’aller à l’école, une fille aveugle, une enfant de neuf ans et sa petite sœur. En Allemagne, l’évêque de Bamberg fit encore brûler 600 femmes, l’évêque de Salzburg 97 : l’évêque Gottfried Johan Georg II Fuchs von Dornhem, qui regna de 1623 à 1630, fit brûler au moins 600 "sorcières", ce qui lui valut le surnom de "l’évêque des sorcières" ou « le brûleur de sorcière ». Un décan de Mayence fit brûler plus de 300 personnes dans deux villages, dans le seul but de s’accaparer leurs biens.
Sages femmes et guérisseusesLes femmes accusées de sorcellerie sont souvent sages-femmes ou guérisseuses, dépositaires d’une pharmacopée et de savoirs ancestraux. La population, essentiellement rurale, n’avait guère d’autre recours pour se soigner. Ces méthodes définies comme magiques se heurtent au rationalisme de la Renaissance. Des incantations en langue connue ou inconnue sont souvent associées aux soins, et l’Église contraint les fidèles à remplacer ces gestes et incantations par des prières aux saints guérisseurs et par des signes de croix. Les sages-femmes sont accusées de pratiquer des avortements.
Aussi, certaines de ces femmes travaillent, et la relative indépendance économique dont elles jouissent les font sortir des normes et du rôle imposés à la féminité. Les femmes sans appui masculin, les veuves en particulier, étaient plus facilement condamnées, d’autant que si elles étaient riches, leur bien était partagé entre l’accusateur et le juge. Également, le bourreau pouvait être payé à la pièce. Ces procédés sont dénoncés en particulier par le jésuite Von Spee.
Source: [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]