Les Lavandières de la nuit
Yan' Dargent, Les Lavandières de la nuit, 1861, huile sur toile, 75 x 150 cm
Les Lavandières de la nuit…Ces âmes errantes hantent de nombreuses cultures. La Bretagne, Terre de Légendes, se l’est tout naturellement appropriée. La naissance de cette légende est ancrée dans les lavoirs et fontaines, près de son voisin l’Ankou, dans le Yeun Ellez (Monts d’Arrée).
C’est dans cette région sauvage des Monts-d’Arrée (Finistère) que l’on risque le plus souvent de rencontrer les "Kannerezed noz" ("lavandières de la nuit"). Leur apparition est toujours un funeste présage.
Mais qui sont ces lavandières ?Les lavandières de la nuit sont des âmes damnées, des « anaon » qui hantent les campagnes. Tout au long de la nuit elles travaillent à laver, essorer et faire sécher des suaires dans l’attente d’être libérées.
Une légende rapporte qu’en 1727 une vieille mendiante demanda un jour l’aumône à des lavandières. Celles-ci la chassèrent en l’outrageant et lâchèrent un chien sur elle. Alors l’étrangère se transforma en Vierge Marie et leur dit : "Femmes inhumaines, vous êtes sans pitié. Je vous condamne vous et votre postérité à aboyer comme ce chien que vous avez lancé contre moi".
On raconte que ces lavandières ont été punies jusqu’au jugement dernier.
Selon une autre tradition, il s'agit de lavandières qui étaient chargées de laver le linge des pauvres. Par cupidité, elles remplaçaient le savon par des cailloux avec lesquels elles frottaient le linge. Non seulement celui-ci ne pouvait redevenir vraiment propre, mais il était terriblement abimé par ce traitement. Pour les punir de ce forfait, elles ont été condamnées à laver éternellement des linges qui restent sales lors de nuits sans lune et sans étoiles, dans ces mêmes lavoirs où elles avaient jadis travaillé.
Légende du Val sans RetourLa nuit de Brocéliande accueille la procession des redoutables Lavandières de la nuit, les Kannerez Noz, que l’on rencontre plus fréquemment en Basse Bretagne.
Elles ont élu domicile au bord du Rauco, qui parcourt le Val sans Retour de son flot intermittent, que le fer rend parfois si roux. La nuit de la Toussaint leur est réservée, et malheur à qui les dérange dans leur royaume nocturne. Elles se souviennent qu’avant le temps du dieu unique, elles étaient reines et déesses et que nul ne leur manquait de respect.
Les contes des derniers siècles racontent comment le passant, assez imprudent pour tordre le linceul qu’elles battaient dans la nuit, était retrouvé noyé au petit matin.
On retrouve dans les différentes cultures quelques divergences : elles seraient les lavandières préposées à laver les défunts et leurs vêtements, ne trouvant pas le repos éternel ; ou encore de mauvaises mères condamnées à laver les langes de bébés morts sans avoir été baptisés.
Selon une tradition bretonne, il s'agit de défuntes qui ont été ensevelies dans un linceul sale:
Quen na zui kristen salver - Jusqu'à ce que vienne un chrétien sauveur
Rede goëlc'hi hou licer - Il nous faut, blanchir notre linceul
Didan an earc'h ag an aër - Sous la neige et le vent.
Pour d'autre, il s'agirait de lavandières qui auraient transgressé la règle religieuse du repos dominical et, de ce fait, seraient condamnées à travailler pour l'éternité (on retrouve des éléments proches dans les légendes de naroues, naroves ou naroua de certaines vallées savoyardes.
Pour se venger, elles interpellent les passants, les entraînant à les aider à essorer et étendre le linge. La seule façon de ne pas finir les membres brisés et étouffés dans les linceuls est de tourner toujours les suaires dans le même sens. Ainsi, la lavandière, voyant que son travail n’en finit pas, se lasse et laisse sa victime libre.
Ces créatures, qui ont l’apparence de vieilles femmes, mais qui sont très grandes, peuvent se rencontrer aux alentours des étangs et des fontaines, mais ce n’est qu’aux abords des lavoirs que leur présence a été signalée. Elles n’apparaissent qu’aux hommes, en particulier les ivrognes qui rentrent de la taverne à la nuit tombée en suivant le chemin - ô combien déconseillé ! - qui longe la rivière ou le lavoir. Gare au malheureux qui, reconnaissant une parente défunte accède à la demande : s'il ne prend garde à tourner dans le même sens que la femme pour éviter de tordre le suaire, c'est son propre corps qu'il tordra dans le linceul. Il s'effondrera, vidé de son sang...
C’est l’histoire de Job Postic…
- Il y a bien longtemps, Job Postic, la veille du jour des morts, était allé (trop !) boire; la nuit venue, il se met en chemin ; il rencontre l’Ankou, reçoit plusieurs avertissements, mais continue sa route et croise les lavandières.
Dès qu'elles aperçurent le joyeux compagnon, toutes accoururent avec de grands cris en lui présentant leurs suaires et lui criant de les tordre pour en faire sortir l'eau.
" Un petit service ne se refuse pas entre amis, dit il gaiement, mais chacune son tour mes belles lavandières, un homme n'a que deux mains, pour tordre comme pour embrasser ".
Il déposa son bâton de marche à terre et pris le bout du drap que lui présentait l'une des mortes, en ayant soin de tordre du même côté qu'elle car il avait appris des anciens que c'était le seul moyen de ne pas être brisé.
Mais pendant que le linceul tournait ainsi, d'autres lavandières entourèrent Job, qui reconnut là sa tante et ses soeurs, sa mère et sa femme. Toutes criaient : " Mille malheurs à qui laissent brûler les siens dans l'enfer ! Mille malheurs!" Et elles secouaient leurs cheveux épars, levant leurs battoirs blancs, et criant " Mille malheurs!"
Job sentit ses cheveux se dresser sur sa tête ; dans son trouble, il oublia la précaution prise jusqu'à lors et se mit à tordre de l'autre côté. A l'instant même, le linceul serra ses mains comme un étau, et il tomba broyé par les bras de fer de la lavandière...
- Loeiz Pabic était content: il avait bien vendu sa vache à la foire de Guémené et prit la route de Melrand de fort bonne humeur. Aussi s'arrêta-t-il à la "tavarn" de Talvern pour boire une bonne bolée de cidre. Quand il arriva du côté de la chapelle du Guellouit, la nuit était sombre et bien avancée. Du côté de la rivière , il entendit distinctement: tap! tap! tap!. Intrigué, il s'avança et vit une lavandière qui battait son linge.
- Que faites vous donc à laver si tard en cet endroit?
- Je lave le linceul de Loeiz Pabic qui sera en terre dans les trois jours.
Elle tourna sa tête vers lui et il vit alors son horrible face de spectre...Terrifié, les cheveux droits sur la tête, il prit ses jambes à son cou jusqu'à sa ferme de Melrand et raconta les faits à Maijosep sa femme. Elle se moqua de lui en disant qu'il n'aurait pas dû s'arrêter à Talvern boire du cidre. Il mangea quand même sa soupe, se coucha et dormit fort mal.
Au matin, Maijosep voulut le réveiller. Il était raide mort.
- Un soir de veillée au coin du feu à Keramborgne, on parlait de revenants, d'esprits, de fantômes et d'apparitions de toutes sortes.
Laouic Mihiac disait avoir vu la lavandière de la nuit lavant un linceul au clair de lune, attendant le voyageur attardé pour l'aider à le tordre et à l'égoutter.
« Malheur à l'imprudent qui l'écoute! Car il ne sait pas qu'Il faut alors impérativement le tordre dans le même sens qu'elles pour qu'elles se lassent et abandonnent. Malheur à celui qui se trompe, il a les bras happés et brisés par le linge qui finit par l'entourer jusqu'à l'étouffer. S'il refuse de les aider elles l'enroulent dans les linges et le noient dans le lavoir, tout en le frappant avec leurs battoirs. Elle lui tord les bras, puis tout le corps. Le lendemain, on le trouve mort près du doué. »
C'est ce qui arriva au malheureux Tanic Kloarec de Pont-ar-goazan une nuit qu'il s'était attardé à boire au bourg de Plouaret.
Emile Souvestre (écrivain breton, né à Morlaix en 1806) les évoque dans Conte de Bretagne dans un récit intitulé Les Lavandières de la nuit.
Selon George Sand, dans Les Laveuses de nuit ou lavandières, les lavandières de nuit sont des mères qui sont maudites pour avoir tué leurs enfants:
« Les véritables lavandières sont les âmes des mères infanticides. Elles battent et tordent incessamment quelque objet qui ressemble à du linge mouillé, mais qui, vu de près, n’est qu’un cadavre d’enfant. Chacune a le sien ou les siens, si elle a été plusieurs fois criminelle. Il faut se garder de les observer ou de les déranger ; car, eussiez-vous six pieds de haut et des muscles en proportion, elles vous saisiraient, vous battraient dans l’eau et vous tordraient ni plus ni moins qu’une paire de bas. »
Le musée des Beaux-Arts de Quimper renferme le fabuleux chef-d’œuvre du peintre Yan Dargent, Les Lavandières de la nuit, à propos duquel Théophile Gautier fit un article élogieux. (Illustration de ce texte)
En fait le mythe des lavandières de nuit est présent dans de nombreuses régions, sous des noms divers :
Angleterre : Night washerwoman
Bretagne : Kannerez-noz (breton)
Écosse : Bean nighe
Île de Man : Ben niaghyn
Irlande : Bean niochain
Pays Basque : Lamina
Portugal : Lavandeira Da Noite
Suisse romande : Gollières à noz
Selon les légendes des Corbières occidentales en Languedoc, les fées lavandières peuplent les grottes et les endroits ténébreux, sortent la nuit et vont laver leur linge avec des battoirs d'or dans le Lauquet (rivière affluant de l'Aude) ou les ruisseaux voisins. Elles sont terrifiantes d'aspect et peuvent avoir deux têtes. On les trouve largement représentées dans toutes les Corbières occidentales et le Limouxin (Rennes-les-Bains, Sougraigne, Fourtou, Laroque-de-Fa, Ginoles, Couiza, Limoux, Brugairolles, Malviès, etc...
Les lavandières nocturnes appartiennent à la grande famille des dames blanches. Si la raison de leur présence connait de nombreuses variantes, elles ont pour l'essentiel des caractéristiques communes :
-Elles ne se manifestent que la nuit, et plutôt les nuits de pleine lune ou de la Toussaint.
-Elles n'apparaissent qu'aux hommes seuls.
-Elles sont un mauvais présage et sont dangereuses si on les approche.
-Elles sont souvent âgées, d'un aspect pitoyable, mais restent robustes.
-Elles sont les fantômes de femmes mortes qui reviennent pour expier une faute dont l'origine varie.
On dit, que ces lavandières d'un genre particulier on une apparence de vielle femme, mais que leurs tailles est bien plus grande que celle d'un grand gaillard. Elles traversent les étendues d'eau comme les étendues de joncs ou de ronces. Pour les faire disparaître il faut gagner rapidement une étendue de terre fraîchement labourée car elles s'y enfoncent et s'évaporent.
Ces créatures fantomatiques qui n’apparaissent qu’aux hommes, hantent les campagnes entre le coucher et le lever du soleil.
Dans La civilisation celtique, Françoise Le Roux et Christian-Joseph Guyonvarc'h font quant à eux le rapprochement avec le mythe de la déesse celte Morrigan, qui annonce la mort du héros Cúchulainn en lavant ses vêtements ensanglantés dans une rivière.
Sources; Wikipédia et [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]