Modeste paysan de la montagne bourbonnaise mais surtout inventeur du site de Glozel, Emile Fradin est mort, mercredi 10 février 2010 à Vichy (Allier), à l'âge de 103 ans. Il emporte dans la tombe un secret : celui des circonstances, toujours restées énigmatiques, d'une série de "découvertes" controversées qui ont secoué la chronique archéologique tout au long du XXe siècle. Jusqu'à remettre en cause les grandes chronologies historiques, jusqu'à reculer de plusieurs millénaires l'invention de l'écriture et à en offrir la paternité à l'Europe...
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Né le 8 août 1906, dans le hameau de Glozel, sur le territoire de la commune de Ferrières-sur-Sichon (Allier), Emile Fradin n'a que 17 ans lorsqu'il rencontre la célébrité. Le 1er mars 1924, alors qu'il aide son grand-père à labourer, une vache de l'attelage s'enfonce dans une fosse empierrée de forme ovale. L'"affaire Glozel" est née. Bien vite, un médecin de la région et archéologue amateur, Antonin Morlet, loue le terrain à la famille Fradin pour y mener des fouilles.
Qu'en sort-il ? D'inimaginables merveilles. Des pointes de flèche et des aiguilles taillées dans l'os ; des galets ornés de signes mystérieux ; des têtes de hache en pierre taillée, des harpons, des anneaux où sont inscrits des signes cabalistiques ; des idoles bisexuées sans équivalent ; des urnes oblongues figurant des visages sans bouche, réalisées dans un style saisissant que le préhistorien Henri Breuil (1877-1961) n'hésite pas, dans un premier temps, à comparer aux céramiques retrouvées à Troie, en Asie mineure, par Heinrich Schliemann (1822-1890).
Représentés sur certains objets, des rennes - disparus de ces latitudes depuis quelque dix mille ans - attestent de l'ancienneté du site. Non loin de ces objets de céramique, de pierre taillée et d'os ouvragé, Antonin Morlet découvre des ossements humains ; le champ Duranthon est rebaptisé "Champ des morts".
Enfin, clou du corpus glozélien, des tablettes d'argile sont retrouvées, toutes estampées d'un alphabet inconnu. Une véritable frénésie s'empare bien vite du landerneau archéologique. Des centaines d'articles de presse sont publiés. Au cours des deux années qui suivent la découverte, plusieurs centaines d'objets sortent de terre. Des sommités scientifiques affluent dans le petit hameau.
Que soudainement l'invention de l'écriture ne soit plus le fait des agropasteurs du Proche-Orient mais celui d'un peuple européen de chasseurs de rennes bouleverse et séduit. Dans une lettre à Antonin Morlet, l'archéologue Emile Espérandieu (1857-1936) écrit : "Quant à l'écriture (...), est-il vraiment obligatoire qu'elle soit d'origine phénicienne ? Pourquoi ne pas admettre que des hommes assez développés intellectuellement, assez artistes pour tracer les gravures magdaléniennes et glozéliennes aient pu (en) avoir l'idée ?"
Au sein de la communauté scientifique, diverses hypothèses sont formulées. La fosse ovale du Champ des morts serait-elle un atelier de verrier du Haut Moyen Age, dont les objets, récupérés sur d'autres sites et réunis là, témoigneraient des pratiques magiques liées à cet artisanat ? S'agit-il plutôt de la cachette d'une sorcière gallo-romaine qui aurait, également, rassemblé des objets hétéroclites glanés sur différents sites de la région ?
Bien vite, pourtant, s'installe le sentiment que les objets glozéliens ont été fabriqués par un génial faussaire. En 1927, un colloque scientifique international est convoqué pour expertiser les découvertes. L'assemblée conclut à une supercherie. La Société préhistorique française (SPF) porte plainte. Emile Fradin est soupçonné d'avoir fabriqué la plupart des objets exhumés du Champ des morts. En 1928, une perquisition est menée sur le domaine de la famille Fradin : on cherche un atelier de faussaire. En vain.
Emile Fradin est néanmoins inculpé en 1929. La cour d'appel de Riom (Puy-de-Dôme) scelle l'affaire, deux ans plus tard, en prononçant un non-lieu. Blanchi, Emile Fradin demeurera pourtant suspecté par certains d'avoir fabriqué nombre des pièces glozéliennes. Ses soutiens arguent du fait qu'il est impossible qu'un jeune paysan du Bourbonnais ait eu les connaissances, la culture et le savoir-faire nécessaires, à moins de 20 ans, pour façonner autant d'objets. Des objets qui, de surcroît, donnent, selon l'expression du protohistorien Jean-Paul Demoule (université Paris-I), le sentiment que "quelqu'un a essayé de "fabriquer" une civilisation"...
Du milieu des années 1930 à l'après-guerre, Glozel sombre dans un oubli relatif. Le petit musée - qui existe toujours -, installé dans le hameau par Emile Fradin, est là pour maintenir vivace la mémoire des "découvertes" réalisées sur place...
Un dossier rouvert en 1983
Dans les années 1970, les nouvelles techniques de datation permettent d'en savoir plus sur la nature du site. Surprise : l'analyse du carbone 14 de certains os montre qu'ils sont vieux de plus de 15 000 ans ! Bien sûr, le radiocarbone ne date que l'os et pas le travail artisanal effectué dessus, mais la nouvelle montre qu'un authentique corpus archéologique a été utilisé pour fabriquer une part au moins du corpus glozélien. Une technique plus pointue, la thermoluminescence, fait son apparition à cette période. Elle permet de dater l'époque à laquelle les céramiques ont été passées au feu. "En 1973, les premières datations à la thermoluminescence, lorsque cette technique était encore balbutiante, donnaient des dates entre 300 avant J.-C. et l'an 700 de notre ère, selon M. Demoule. La seconde série, dix ans plus tard, indique cette fois entre le XIIe siècle et nos jours." La plupart des tablettes "alphabétiformes" ont été cuites au XXe siècle.
L'affaire est suivie depuis l'étranger par quelques savants, dont le grand archéologue britannique Colin Renfrew. "Il m'a toujours semblé clair qu'il s'agissait d'un étrange canular et que les "découvertes" supposées avaient été déposées sur le site dans le but de tromper le public, explique-t-il. Le plus troublant dans cette affaire est l'échec, à ce qu'il semble, de la plupart des membres de la communauté archéologique française à faire accepter le fait que cette "découverte" relevait en réalité du canular." De fait, en 1983, le ministre de la culture Jack Lang commet, à nouveau, des scientifiques de renom pour reprendre les fouilles et expertiser le site. Las ! Leurs résultats, définitivement publiés douze ans plus tard, montrent, selon M. Demoule qui a participé à ces travaux, qu'"il n'y a pas de site archéologique à Glozel".
D'où viennent, alors, les ossements anciens ? Qui a inventé l'alphabet de Glozel pour en frapper les dizaines de tablettes aujourd'hui exposées dans le petit musée ? Qui a façonné ces étranges urnes à visage et ces idoles bisexuées, retrouvées sur place ? Nombreux étaient ceux qui espéraient qu'Emile Fradin parlerait avant son décès. Il n'en a rien fait.
historique8 août 1906
Naissance dans la commune de Ferrières-sur-Sichon (Allier)
1er mars 1924
Découverte du site archéologique de Glozel
30 juillet 1931
Blanchi
des accusations de fraude
1983-1995
Expertise du site de Glozel
10 février 2010
Mort à Vichy (Allier)
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