Ce que les contes nous racontent
Le saviez-vous ? La première trace écrite de Cendrillon et ses sœurs jalouses apparaît dans un manuscrit chinois vieux de trois mille ans. Pourquoi des histoires, si anciennes qu’on pourrait les croire désuètes, inadaptées à notre époque, nous parlent-elles encore autant ? Parce qu’elles reflètent nos structures psychiques fondamentales. Sous forme d’images symboliques, elles traduisent les problèmes auxquels nous sommes confrontés dès l’enfance, et qui touchent à la fois aux relations dans la famille (rivalité fraternelle, inceste…) et aux problèmes personnels (renoncement aux dépendances de l’enfance, affirmation de la personnalité, prise de conscience de ses propres valeurs, dépassement du conflit œdipien…). Bien loin de l’esprit d’une simple "littérature enfantine", ces contes, en mettant en scène des fantasmes, apportent, à leur manière, des solutions à ces problèmes. Voilà pourquoi, en s’adressant directement au moi naissant de l’enfant, ils jouent un rôle important dans la construction de la personnalité.
C’est parce qu’ils ont adressé des messages non seulement à notre conscient, mais aussi à notre inconscient, que Blanche-Neige, les trois petits cochons et le petit Poucet nous ont aidés à intégrer la signification du bien et du mal, à stimuler notre imagination, à développer notre intelligence, et surtout à y voir plus clair dans nos émotions.
La richesse du contenu symbolique des contes est telle qu’ils se prêtent naturellement à l’analyse et à l’interprétation. Les psychanalystes freudiens montreront quelle sorte de matériel inconscient, refoulé, est sous-jacent dans chacune de ces histoires. Pour eux, Jack qui fait pousser un haricot magique, monte sur sa tige et tue un géant pour s’emparer de son trésor, représente l’affirmation phallique de l’adolescent, qui « tue son père » pour imposer sa propre virilité. Les psychanalystes jungiens y verront plutôt un récit initiatique, l’image de notre besoin d’accéder aux degrés supérieurs de notre conscience. Pourtant, l’un n’exclut pas l’autre ! Preuve en est : tout comme dans ces innombrables histoires où le jeune héros se montre plus malin que le géant, Jack montre aux enfants qu’en se servant de son intelligence et de son esprit pratique, il est possible de se sortir des difficultés de la vie. Tout simplement.
L’universalité et la profondeur symbolique des contes de fées leur permettent d’être lus, relus, racontés maintes et maintes fois, à n’importe quel âge. C’est la raison pour laquelle ils sont de plus en plus utilisés en psychothérapie et en développement personnel : les ateliers de contes se multiplient, proposant diverses approches pour réveiller notre "enfant intérieur", développer les richesses de notre imaginaire et nous aider à nous transformer.
Comprendre nos parts mythiques
Il était une fois... selon DisneyDeux siècles après la naissance du conteur danois Hans Christian Andersen, certains contes sont utilisés en développement personnel. Ces méthodes utilisent trois personnages clés, présents dans les mythes du monde entier.
Le roi représente notre désir d’évolution, notre faculté de discernement.
Le héros incarne l’action, la mise en œuvre du changement.
La fée est notre part de magie, d’inconscient. Elle découvre les opportunités et provoque les situations propices au changement.
Une aide précieuse pour mettre une image sur nos blocages.
Blanche-Neige des frères Grimm
Les difficultés de la puberté
La princesse Blanche-Neige, jalousée par sa belle-mère parce qu’elle est « mille fois plus belle » qu’elle, est envoyée dans le bois pour y être tuée. Epargnée, elle se réfugie dans la maisonnette des sept nains. La belle-mère la retrouve et, déguisée en sorcière, l’empoisonne. Elle reviendra à la vie grâce au baiser d’un prince.
Peu de contes réussissent à nous faire comprendre les grandes phases du développement de l’enfant – notamment la période pubertaire chez les filles – aussi bien que Blanche-Neige. Au début de l’histoire, une reine qui, plus tard, mourra en donnant naissance à Blanche-Neige, se pique le doigt. Trois gouttes de sang tombent dans la neige : l’innocence, la blancheur contrastent ainsi avec la sexualité, la couleur rouge.
Ce conte prépare les petites filles à accepter le saignement sexuel, la menstruation. L’enfant apprend qu’une petite quantité de sang est la condition première de la conception. Pareillement, Blanche-Neige fait son éducation de jeune fille « sage » auprès des nains, asexués, en attendant « le prince jeune et beau » qui la délivrera du désir qui l’étouffe (symbolisé par la pomme). L’attitude de la marâtre, qui cherche en vain à se rassurer (« miroir, mon beau miroir… »), rappelle que parmi les étapes nécessaires à la construction de l’identité féminine, la mère doit céder la place à sa fille.
Peau d'Ane de Perrault
L’interdit de l’inceste
Un jour, un roi riche et puissant perd sa femme bien-aimée. En quête d’une nouvelle épouse, il tombe amoureux de sa propre fille. Demandée en mariage, la princesse, conseillée par sa marraine la fée, exigera des cadeaux insensés, puis s’enfuira du palais, revêtue d’une peau d’âne. Elle vivra pauvrement, loin du royaume, avant de rencontrer un jeune prince.
Ce conte de fées fut longtemps passé sous silence, et parfois même censuré parce qu’il aborde de front le tabou des tabous : l’inceste. A partir d’une situation extravagante – un père qui abuse de son autorité pour demander sa fille en mariage –, l’interdit de l’inceste est clairement expliqué par la fée qui, à la mort de la reine, remplit sa fonction de marraine en prenant le relais de l’éducation de la jeune fille. Celle-ci donne l’exemple à tous les enfants : elle parvient à se soustraire au pressant désir paternel en renonçant à une vie facile. Elle en sera finalement récompensée.
Symboliquement, dans les contes, revêtir la peau d’un animal permet au héros de ne pas perdre son âme…
Cendrillon de Perrault
La rivalité fraternelle
Devenu veuf, un homme riche se remarie avec une femme déjà mère de deux filles, aussi méchantes l’une que l’autre. Elles s’acharnent sur Cendrillon, jusqu’au jour où, lors d’un bal, le fils du roi tombe amoureux d’elle. Parmi les centaines de versions, dont celle des frères Grimm, celle de Perrault, avec sa fameuse pantoufle de verre, est la plus répandue.
Toute l’histoire est construite autour des angoisses et des espoirs qui forment l’essentiel de la rivalité fraternelle : avilie, Cendrillon est sacrifiée par sa belle-mère au profit de ses demi-sœurs. La rivalité entre femmes est ici à son comble – même si le fait qu’il s’agisse de demi-sœurs rend plus acceptables les humiliations subies par l’héroïne.
Tout au long du conte, les émotions de la jeune fille traduisent exactement ce que ressent un enfant en proie aux affres d’une rivalité pourtant « naturelle » et universelle. Si la situation de Cendrillon semble être poussée à l’extrême – elle est l’inférieure, la souillon –, elle correspond aux émotions de tout enfant dans une fratrie, et à ses sentiments envers ses parents. D’après l’auteur de la Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim, vivre la belle-mère comme une figure terrifiante permet à l’enfant de faire face à ses fantasmes inconscients de haine et de dégoût envers ses propres parents, sans se sentir coupable.
Le petit chaperon rouge de Perrault
La tentation sexuelle
La plus jolie fille du village est envoyée par sa mère chez sa mère-grand. En traversant la forêt, elle rencontre le loup. Arrivée chez son aïeule, entre-temps mangée par l’animal, le Petit Chaperon rejoint celui-ci dans le lit. Ce conte est connu sous une trentaine de versions en France. Celle de Perrault, qui date de 1697, se termine par : « Et en disant ces mots, ce méchant loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge et la mangea. » Parmi les contes, le célébrissime Chaperon rouge est le plus sexuellement explicite. La couleur rouge symbolise les émotions violentes liées à la sexualité. Il est évident que le loup n’est pas un animal carnassier, mais une métaphore criante du mâle : quand la jeune fille se déshabille et le rejoint dans le lit, et que la bête lui dit que ses grands bras sont faits pour mieux l’embrasser, peu de place est laissée à l’imagination. Le loup et le chasseur sont deux figures masculines antagonistes que la jeune fille doit apprendre à reconnaître : le premier est séducteur et meurtrier, le second est bienveillant et sauveur.
Ce conte est une mise en garde très claire, dont la morale a même été ajoutée en quelques lignes par Perrault : « Les jeunes filles, belles, bien faites et gentilles, font très mal d’écouter toutes sortes de gens. »