Treize ans après les faits, l’arrestation d’un médecin montois pour l’agression d’une jeune femme suscite l’intérêt de la cellule « Corpus ».
Les faits imputés au dépeceur de Mons glacent encore les sangs : cinq femmes de la région, fragilisées par la vie, froidement assassinées, et leurs restes déposés autour de la ville, dans un macabre jeu de piste.
La cellule « Corpus » a suivi des centaines de pistes. Elle a été le réceptacle d’un nombre incalculable de dénonciations qu’il a fallu vérifier jusqu’à la dernière. En vain jusqu’à présent : le tueur en série n’a jamais été identifié.
Un fait divers d’apparence banale vient cependant de donner un coup de fouet à l’enquête : le 26 janvier, à Boussu, près de Mons, un homme agresse violemment une jeune femme. Il la harcèle de longue date. Elle a fini par déposer une plainte. Armé, il vient la menacer de mort, la frappe et est maîtrisé de justesse par la police.
Cet homme s’appelle Jacques Antoine. C’est un médecin renommé de Mons. Son nom s’étale en première page de la presse locale pour cette lamentable histoire. Mais au palais de justice de Mons, le docteur, 62 ans, n’est pas un inconnu : des lettres signées par un proche l’accusent tout simplement d’être le dépeceur de Mons. Sans apporter de preuve. Mais la violence affichée par le médecin à Boussu impose au moins de se poser des questions. C’est en cours.
Dépeceur de Mons : nouvelle piste
Justice Un médecin montois incarcéré pour une agression, il avait été dénoncé
Près de treize ans après la découverte des premiers sacs contenant des restes humains, l’enquête sur le dépeceur de Mons subit un nouveau coup d’accélérateur. Un médecin montois a été arrêté le 26 janvier pour l’agression d’une jeune esthéticienne de Boussu. La cellule « Corpus », mise en place pour traquer le tueur en série, s’intéresse de près à ce notable de 62 ans. De longues lettres circonstanciées et signées d’un proche sont parvenues au juge d’instruction, au procureur du roi et aux policiers, avant l’incident de ce début d’année. Elles accusaient le docteur Jacques Antoine d’avoir tué Martine Bohn, Jacqueline Leclercq, Nathalie Godart, Carmelina Russo et Begonia Valencia.
Le parquet de Mons se montre très prudent, mais reconnaît que des investigations ont été menées dès la réception des lettres et que « les éléments nouveaux » (l’agression de janvier) déboucheront sur de nouveaux devoirs d’enquête. « On a peut-être enfin une chance d’aboutir », dit-on au parquet, preuve de l’intérêt que suscite cette piste.
Tout débute donc le mardi 26 janvier, dans un centre médical de la rue François Dorzée à Boussu, à une vingtaine de kilomètres de Mons. Le docteur Antoine y tient une consultation. Une partie des locaux est occupée par une esthéticienne de 27 ans. Le médecin déboule dans l’institut de beauté. Il est armé. Il menace la jeune fille de mort, en présence d’une cliente qui tente de calmer l’agresseur, qui est hors de lui. L’homme frappe sa victime à coups de crosse. Elle sera sérieusement blessée. La police arrive miraculeusement, le médecin est arrêté.
Le nom de Jacques Antoine fait évidemment la une de la presse locale. Depuis 1976, le Montois est un « nez-gorge-oreilles » réputé. Il a exercé son art notamment à l’hôpital du Grand-Hornu et à la clinique de Warquignies. Il a pignon sur rue au boulevard Sainctelette à Mons, et à Boussu donc. On lui connaît une passion peu banale pour la musique classique. Il est lui-même ténor dans plusieurs ensembles vocaux réputés.
Existe-t-il deux Jacques Antoine ? Aurélie, la jeune esthéticienne de la rue Dorzée, raconte à La Province le harcèlement dont elle a été victime de la part du médecin. Il la poursuivait de ses assiduités, lui offrait des cadeaux graveleux. « J’ai décidé de porter plainte », confie-t-elle à nos confrères. Le mardi 26 janvier, averti de cette démarche, le docteur prend une arme à son domicile et se rend au cabinet de celle qui se refuse à lui. Si les policiers arrivent sur place, c’est justement pour faire le point avec la jeune fille sur sa plainte.
Une récente passion pour les armes
L’enquête prend très vite une autre tournure. Des perquisitions longues et très intensives sont menées dans les cabinets et au domicile montois du médecin. Au sous-sol de celui-ci, les policiers découvrent un petit arsenal : cinq armes soigneusement rangées dans une armoire blindée. Ils apprennent que Jacques Antoine en a commandé six autres, qu’il attend encore. Rien d’illégal, semble-t-il. Mais Jacques Antoine n’est pas un tireur assidu. Et si passion il y a, elle est très récente : deux ou trois ans à peine. Récente et inexplicable…
Selon nos informations, les enquêteurs ont vite fait le lien avec un incident datant de la fin 2009, toujours à la rue Dorzée à Boussu. Un beau soir, quelqu’un a tiré à la carabine sur la façade d’un médecin : l’auteur des coups de feu serait le docteur Antoine. Le mobile : un différend professionnel.
Jacques Antoine n’est-il vraiment que ce médecin sans histoires, bien connu à Mons ? Les policiers commencent à en douter : les voilà face à un cas de harcèlement, à une agression avec menace de mort, à des coups de feu sur la voie publique et même à un vol d’ordinateur – le docteur l’aurait dérobé au domicile de l’esthéticienne. Et ils disposent aussi de deux longues lettres de dénonciation pour l’affaire du dépeceur. Impossible de ne pas tenter d’en savoir plus…
Depuis la découverte des restes des victimes du tueur, la cellule « Corpus » a suivi des centaines de pistes, entendu autant de témoins et… reçu une multitude de dénonciations plus ou moins sérieuses, écartées les unes après les autres.
Les lettres accusant le docteur Antoine ne peuvent pas être suspectées de « rebondir » sur l’agression de Boussu, et d’en profiter pour charger un homme en difficulté : elles datent du 1er août 2009 et du 15 janvier 2010. Dans cette deuxième missive, l’auteur insiste sur la passion neuve du médecin pour les armes : « Je crains pour la sécurité publique », écrit-il de manière prémonitoire.
Quelle crédibilité ?
Pour le reste, les pages dactylographiées recensent une foule d’impressions, d’anecdotes et d’éléments qui selon l’auteur, lui permettent d’être certain à 100 % de la culpabilité du Montois dans l’affaire du dépeceur : « Pas un millième de pour cent de doute. »
Peut-être. Mais il n’y a pas non plus « un millième de pour cent de preuve » dans ce qu’avance le scripteur. La conversation téléphonique du 2 avril 2009 au cours de laquelle ce dernier aurait recueilli les aveux est ainsi invérifiable :
– « Donc, c’est toi le dépeceur de Mons… »
– « Ah ! Tu as trouvé l’énigme ? Oui, oui, c’était moi, le dépeceur de Mons, c’était moi… »
Affabulations rocambolesques ? Règlement de comptes par missives interposées ? L’enquête devra le déterminer. Mais le temps presse pour la cellule « Corpus ». Si la chambre du conseil a confirmé la détention de Jacques Antoine pour un mois, c’est pour faire la lumière sur l’incident du 26 janvier, seul élément à charge du médecin, à ce stade. Aucun lien n’est encore fait avec le dossier du dépeceur. Mais les enquêteurs y travaillent.
Cinq femmes en difficulté, cinq victimes du tueur en série
Martine Bohn
Ancienne prostituée, elle disparaît le 21 juillet 1996. Le 25 juillet, son corps est retrouvé dans la Haine, décapité et amputé des membres et des seins.
Jacqueline Leclercq
Mère de quatre enfants, elle disparaît le 22 décembre 1996. Le 19 juin 1997, ses restes sont identifiés parmi ceux présents dans les sacs. Sa tête n’a jamais été retrouvée.
Nathalie Godart
La plus jeune des victimes : 21 ans. Elle disparaît le 16 mars 1996. Sa tête est retrouvée à Havré, le 12 avril 1997. Il faudra attendre un portrait-robot pour l’identifier avec certitude.
Begonia Valencia
La dernière victime connue du tueur, en juillet 1997. Son crâne est retrouvé par hasard dans un verger d’Hyon, près de Mons.
Carmelina Russo
Elle disparaît le 4 janvier 1996. Son bassin est retrouvé dans l’Escaut à Château-l’Abbaye, en France, le 18 juillet 1997.
Plusieurs suspects, mais aucune certitude
L’enquête sur le dépeceur de Mons a été confrontée à des dizaines de pistes.
Léopold Bogaert. Le « gitan », qui était l’ami de Nathalie Godart fut inculpé et libéré quinze jours plus tard. Son blouson portait des traces de sang qui ne provenait pas de son amie. Autre élément déterminant : l’autopsie de Nathalie révéla qu’elle avait mangé du couscous et non le boudin noir-oignons qu’elle s’en était allé chercher au moment de sa disparition…
La piste américaine. Pourquoi le dépeceur s’est-il précipitamment débarrassé des corps (certains congelés) de ses victimes ? Est-il mort ? A-t-il été arrêté ? Les enquêteurs ont également interrogé la base du Shape, de Casteau. Histoire de savoir si l’un des militaires mutés en 1997 n’avait pas été contraint de se débarrasser de ses éventuelles victimes. Des précédents ont existé avec des soldats américains basés au Japon ou en Allemagne.
Fourniret. Lors de l’enquête menée sur « L’Ogre des Ardennes », le juge Pilette s’est intéressé à Michel Fourniret dont l’épouse recrutait des baby-sitters dans le Hainaut. Il disposait par ailleurs dans sa cave de menottes. Et possédait en 1996 une camionnette blanche, semblable à celle identifiée lors des premiers dépôts macabres de sacs.
Le poète. Une dénonciation conduit en 2005 les enquêteurs à interroger le poète montois Alain Duveau sur des textes macabres qui évoquent le dépeceur. Il est très rapidement disculpé.
Monténégro. En 2007, l’arrestation à New York d’un dépeceur suscite l’intérêt. Smalje Tulja, 67 ans, est soupçonné de trois crimes, dont deux commis dans son pays d’origine, le Monténégro. Il aurait séjourné à Verviers. Cette piste est abandonnée.
Perpignan. En 1998, une commission rogatoire belge se rend à Perpignan. Dans le quartier de la gare, là aussi, quatre femmes ont été dépecées. Des SDF de Perpignan se rendaient régulièrement à Mons. Un médecin péruvien fut arrêté en France et fut finalement disculpé.
Les certitudes. Le dépeceur est un habitué de Mons. Les sacs (au moins 15) dans lesquels il transportait ses victimes furent achetés dans une solderie aujourd’hui fermée du centre-ville. Toutes les victimes du dépeceur étaient en désespérance et fréquentaient le quartier de la gare. Quatre des cinq avaient connu un passage par l’hôpital psychiatrique « Le Chêne aux Haies ». Des restes de corps n’ont jamais été retrouvés.