Moscou : les repaires souterrains de Staline
Dans ce nouveau numéro de l’émission « Dans le secret des villes », le présentateur Don Wildman pose ses valises à Moscou. Non contente d’être la plus grande ville d’Europe, la capitale de la Fédération de Russie est également la plus peuplée avec ses 10,22 millions d'habitants recensés en 2008 ; elle regroupe à elle seule près de 9% de la population du pays.
Moscou a également joué un rôle de premier plan dans l’histoire de la Russie. Capitale du Grand Duché de Moscou durant le Moyen-âge, puis de l’Empire Russe avant d’être détrônée par Saint-Pétersbourg sous le règne de Pierre le Grand, elle redevint en 1918 capitale de la république socialiste soviétique russe puis de l'Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), et enfin celle de la Fédération de Russie.
Cœur du pouvoir politique et économique, Moscou fut, de par cette position suprême, une cible stratégique de choix, notamment durant la Seconde Guerre Mondiale et la période de Guerre Froide qui suivit. Conscient des dangers qui menaçaient la capitale de l’URSS, dans une époque de crispations internationales où la menace atomique pouvait se concrétiser à tout moment, Staline fit donc bâtir une forteresse tentaculaire dans les sous-sols de Moscou, et notamment sous le Kremlin, centre névralgique du pouvoir. C’est cet étonnant monde souterrain que Don Wildman se propose de nous faire découvrir. D'un réseau d'égouts qui servait aussi de chambres de torture, au bunker souterrain qui servit pendant la crise des missiles de Cuba, en passant par les tunnels secrets empruntés par l'élite soviétique dans le métro le plus fréquenté du monde, explorez en sa compagnie une autre facette de Moscou…
. GO 42 : le bunker secret de Staline
Bordée par la Moskova, Moscou, capitale de la Fédération de Russie, abrite plus de 10 millions d’habitants. L’essor de la ville commence réellement avec la Révolution Russe, en 1918, lorsque Moscou retrouve son statut de capitale, jusqu’alors détenu par Saint-Pétersbourg. En 1922 Joseph Staline émerge comme le nouvel homme fort de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS). Il fonde son pouvoir sur un système de terreur et d’élimination systématique de ses opposants, mettant en place un redoutable état policier dont les victimes se compteront par millions.
Comme beaucoup de dictateurs, Staline est aussi un grand paranoïaque. Pour défendre Moscou de ses ennemis – réels ou supposés – il lance ainsi une vaste campagne de constructions souterraines destiné à « bunkériser » la capitale. Aujourd’hui, Moscou porte encore de nombreux stigmates de cette époque de paranoïa et de suspicion. Ainsi, dans le vieux quartier de Taganka se trouve un bunker habilement dissimulé, vestige des heures les plus sombres de la Guerre Froide, lorsque l'Union Soviétique et les États-Unis se neutralisaient mutuellement en brandissant la menace de l’arme atomique.
Légèrement excentré, le quartier de Taganka se trouve à environ un quart d’heure du Kremlin. Sous la surface rassurante d’un quartier typique moscovite se dissimule l’une des installations les plus secrètes de la Guerre Froide : un important bunker militaire construit sous un immeuble qui servit de poste de commandement à Staline durant la crise des missiles de Cuba. L’immeuble qui dissimule le bunker n’est qu’un subterfuge ; à l’intérieur point d’appartements mais un dédale de couloirs conduisant à des ascenseurs descendant jusqu’à 60 mètres sous terre, soit l’équivalent d’un immeuble de 20 étages.
Construit en 1952 sur ordre de Staline, ce complexe souterrain dont le nom de code était GO-42 frappe par sa dimension tentaculaire. Entre 300 et 500 personnes y travaillaient quotidiennement, assignées à la surveillance et à la maintenance des installations. Enterrées à 60 mètres de profondeur, celles-ci sont constituées de quatre blocs principaux reliés par un réseau de tunnels. Le bloc n°3, composé de vastes salles, abrite la partie technique : générateurs d’électricité, systèmes de ventilation et réserves. Le bloc n°4, situé à l’opposé, regroupe la cantine, les chambrées et l’infirmerie. Situés au centre du complexe, les blocs n°1 et 2 abritent quant à eux les salles de commandement, les bureaux, et les installations stratégiques destinées au suivi des opérations militaires.
En surface, la sécurité du complexe était assurée par le MGB, la police secrète qui précéda le KGB, tandis qu’à l’intérieur des postes de surveillance filtraient les allées et venues du personnel. Chacune des parties du bunker était compartimentée à l’aide de lourdes portes métalliques, permettant à tout moment la création de zones de confinement. Tous les tunnels du complexe disposaient d’un épais blindage fait d’un alliage contenant beaucoup de plomb, un matériau destiné à absorber les radiations électromagnétiques émises par le matériel de transmission, afin de rendre le bunker indétectable depuis la surface. GO-42 n’avait pas seulement un usage militaire ; le complexe souterrain avait aussi vocation à servir d’abri antiatomique aux dignitaires du régime en cas de conflit. Pour cela, il avait été doté d’installations et de réserves portant sa capacité d’accueil à près de 3000 personnes et son autonomie à 90 jours.
GO-42 faillit bien servir en 1962. C’est en effet depuis ces salles enfouies que fut gérée la crise des missiles de Cuba, qui fut à deux doigts de précipiter l’humanité dans une troisième Guerre Mondiale aux conséquences potentiellement apocalyptiques. Cette crise fut la conséquence d'une série d'événements survenus du 16 au 28 octobre 1962 opposant les États-Unis et l'Union soviétique au sujet de missiles nucléaires soviétiques pointés sur le territoire Américain depuis l'île de Cuba, principal allié de l’URSS. Nikita Khrouchtchev, numéro 1 Soviétique, choisira finalement de désamorcer la situation en ordonnant le retrait des missiles. Ce coup de téléphone historique sera passé depuis les installations de GO-42 que nous découvrons en images.
. Dans les égouts moscovites
Après son accession au pouvoir, Staline se lancera dans une vaste campagne de travaux visant à doter Moscou de nouvelles infrastructures. Le réseau d’égouts de la capitale fut l’un des principaux chantiers de cette période, comme va nous le montrer la deuxième partie du reportage. L’entrée des égouts étant strictement interdite au public, Don Wildman a du obtenir une autorisation spéciale afin de pénétrer à l’intérieur de ce monde souterrain qui s’étend sur plus de 5900 km, à plus de 60 mètres sous la surface.
A l’entrée des canalisations, les bottes sont de rigueur, ainsi que le port d’un harnais de sécurité pour descendre. Moscou repose sur un réseau souterrain de 190 rivières qui coulaient autrefois en surface, provoquant d’importantes inondations à chaque période de crues. Au fil du temps, ces rivières furent progressivement canalisées, puis recouvertes avant d’être enterrées, se transformant en un formidable labyrinthe d’égouts qui serpente aujourd’hui dans les sous-sols moscovites.
Mais ce réseau fut détourné à de nombreuses reprises de son usage originel. Des années durant, ce monde souterrain conçu pour préserver la ville des crues offrit en effet un abri idéal aux citoyens de l’ombre : sans-logis, criminels en cavale, contrebandiers, etc. Sous le Kremlin se trouvaient même des geôles et des salles de torture.
Au début du 20ème siècle, lorsque Moscou redevint la capitale du pays, ce réseau d’égouts était toutefois devenu obsolète, fréquemment saturé par les eaux et peinant à assurer sa fonction de régulateur des crues. Dans sa volonté de moderniser la capitale, Staline donna donc les pleins pouvoirs à ses ingénieurs pour réparer et moderniser les égouts de la capitale. Ceux-ci commencèrent par remettre en état les canalisations déjà existantes, avant de se lancer dans la construction d’un nouveau réseau destiné à régler définitivement le problème des crues. Pour tenir les délais démentiels imposés par Staline, les responsables des travaux utilisent massivement les prisonniers. Mais bientôt cette main d’œuvre se révèle insuffisante, et les opposants politiques, victimes des redoutables « purges staliniennes », viennent grossir les rangs des forçats qui travaillent jour et nuit à creuser les galeries. Ce procédé est révélateur d’une période durant laquelle Staline imposa son pouvoir par la terreur et l’élimination systématique de ses opposants.
Si la politique menée par le dictateur permit à l’URSS de quitter le rang des pays du tiers-monde et de devenir en l’espace de quelques décennies l’une des principales puissances de la planète, le prix humain à payer fut considérable pour les Russes. Selon l’écrivain Alexandre Soljenitsyne, ce furent près de 60 millions de Russes – prisonniers, opposants politiques, apparatchiks déchus, paysans enrôlés de force, etc. – qui périrent ainsi, victimes de la politique Stalinienne et de son obsession à vouloir se diriger à marche forcée vers le progrès. Mais les égouts de Moscou, symboles de la volonté stalinienne, se retournèrent aussi contre le dictateur en devenant le principal lieu d’asile de certains de ses opposants. Quiconque cherchait à échapper à la redoutable police politique de Staline pouvait en effet s’enfoncer dans ce royaume souterrain et trouver refuge dans l’un de ses nombreux recoins inaccessible. Cette utilisation perdurera jusque dans les années 90, où certains responsables politiques utiliseront les égouts moscovites pour s’évader pendant le putsch de Moscou, en août 1991. Staline aurait-il pu prédire que son réseau d’égouts allait ainsi desservir les intérêts des tenants de la ligne dure au sein du Parti Communiste de l’Union Soviétique qui voulaient reprendre le contrôle du pays ?
. Metro 2 : les galeries de la dernière chance
Comment faire un reportage sur les souterrains moscovites sans s’intéresser au métro, l’un des plus anciens – et des plus beaux – du monde ? Pour cette troisième partie, nous voici donc dans ces galeries souterraines qui drainent chaque jour des millions de voyageurs. La construction de la première ligne – appelée ligne rouge – débuta en 1932 sur la volonté de Staline. Elle ouvrira trois ans plus tard, comprenant dix stations réparties sur huit kilomètres. En 1938, deux nouvelles lignes viennent s’ajouter à ce premier tronçon, dessinant ainsi l’ossature d’un réseau métropolitain qui deviendra, au fil du temps, l’un des plus denses du monde.
Mais ces tunnels qu’empruntent chaque jour des millions de moscovites ne sont que la partie visible du vaste monde souterrain conçu par Staline et ses ingénieurs. Ce n’est pas le fruit du hasard si le métro de Moscou est l’un des plus profonds du monde, à 60 mètres sous la surface. Au-delà de sa vocation initiale, Staline voulait en effet en faire un abri contre les bombardements dans un contexte de tensions internationales dominé par la menace d’une guerre avec l’Allemagne hitlérienne. En 1941, lors de l’attaque éclair des Allemands dans le cadre de l’opération Barbarossa, les galeries du métro moscovite rempliront pleinement cette fonction d’abri en protégeant la population contre les bombardements qui ravagent la capitale. Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, ces galeries joueront un rôle crucial dans la défense passive de Moscou.
Mais si ces faits sont connus des moscovites, beaucoup ignorent en revanche d’autres pans de l’histoire secrète de leur métro. La station Chistye Prudy, située sous le cœur de Moscou, nous en offre un petit aperçu. Durant toute la Seconde Guerre Mondiale, elle fut entièrement condamnée et interdite au public pour être transformée en QG opérationnel de l’armée Russe. Celui-ci était installé dans une salle de correspondance située entre les quais de la station. Des parois de bois occultaient la zone top-secrète, et les rames de métro passaient sans s’y arrêter. Sous ce centre névralgique militaire, Staline avait fait bâtir un bunker encore plus confidentiel réservé à son usage personnel et à celui d’une poignée de hauts dignitaires du régime. Loin d'être une construction isolée, ce bunker se trouvait raccordé à un vaste réseau souterrain à vocation militaire s’étendant en étoile autour de Moscou, baptisé « Metro 2 ». Véritable ville souterraine, ce réseau conjuguait des tunnels de métro, des centres de commandement militaire et des bunkers ; il s’étendait bien au-delà des limites de la ville, vers des postes de commandement basés au sud, au nord-est et au sud-ouest de la périphérie. Un chemin de fer secret reliait ces différentes constructions souterraines.
Cet incroyable complexe continua d’être utilisé bien après la Seconde Guerre Mondiale, puisque son existence ne fut révélée qu’au début des années 90. Durant toute la période de la Guerre Froide, il fut soigneusement entretenu et rénové en vue d’être utilisé en cas de conflit atomique. Ces « galeries de la dernière chance » auraient alors servi à accueillir l’élite dirigeante d’URSS et à organiser le commandement militaire. Aujourd’hui, les autorités Russes continuent cependant à nier l’existence de « Metro 2 », et tous les points d’accès à ce complexe souterrain qui se trouvent dans le métro moscovite sont strictement interdits au public. A l’extrémité de ces galeries défendues par des grilles commence un monde militaire et secret qui s’enfonce à plus de 90 mètres sous la ville. Mais nul n’est autorisé à y pénétrer : le Moscou souterrain est une vraie chape de plomb.
. La cathédrale ressuscitée
Aux yeux de Staline, la religion constituait l’une des pires menaces contre le régime autoritaire qu’il souhaitait mettre en place. Dans sa volonté d’écraser tout symbole religieux, il décida ainsi de faire construire le Palais des Soviets, un centre administratif à l’architecture colossale, sur le site de la cathédrale du Christ sauveur qui fut purement et simplement rasée sur la volonté du dictateur. Ce chantier sera interrompu par l’invasion Allemande de 1941, et la cathédrale sera reconstruite à l’identique entre 1995 et 2000, mais le sous-sol du site a gardé la trace des agissements de Staline.
En 1812, le tsar Alexandre 1er commande la construction de la première cathédrale du Christ sauveur pour célébrer la victoire de la Russie sur les troupes de Napoléon. Une fois achevée en 1833 elle est aussitôt célébrée par le peuple comme le symbole de l’église orthodoxe Russe. 48 ans après son achèvement, Staline ordonne pourtant qu’elle soit rasée. Dynamitée à l’aide de puissantes charges explosives, la cathédrale disparaît ainsi en quelques jours. Peu de temps après démarre le chantier du Palais des Soviets, un édifice dans la plus pure tradition de l’architecture communiste, qui se veut le centre culturel de toute la nation. Ses plans révèlent une structure circulaire s’élevant à 396 mètres surmontée d’une statue de bronze de Lénine de 96 mètres de haut, ce qui porte l’ensemble 15 mètres plus haut que l’Empire State Building.
Pour construire des fondations capables de supporter un bâtiment aussi imposant, les ingénieurs de Staline nivellent la colline sur laquelle se dressait la cathédrale avant d’y creuser une fosse de 8 mètres de profondeur qu’ils remplissent de béton. En 1941, tandis que débute l’offensive Allemande qui va mettre un terme aux travaux, la charpente d’acier des dix premiers étages de l’édifice est déjà sortie de terre. Alors que la guerre fait rage et que la menace Allemande se rapproche dangereusement de Moscou, les matériaux du Palais des Soviets sont récupérés à la hâte pour être utilisés dans la construction de bunkers. Pendant les 20 années qui suivent, le trou des fondations restera béant, rempli d’eau de pluie et de gravats. Les travaux de reconstruction de la cathédrale débuteront en 1995, grâce à des dons venus de toute la Russie, et dureront jusqu’en 2000. Pour se faire une idée de l’ampleur de ce chantier, il faut descendre dans les sous-sols du nouvel édifice, à 14 mètres sous terre. Afin de reconstruire la cathédrale à l’identique, les ingénieurs ont en effet du ériger une structure artificielle qui vient se substituer à la colline d’origine. C’est cet étonnant « dôme » de métal et de ciment supportant la réplique de la cathédrale du XIXe siècle que nous découvrons dans cette partie du reportage.
. Izmailovo : le dernier bastion de Staline
Pour terminer cette visite moscovite, nous prenons la direction d’un stade dont le sous-sol recèle bien des surprises. Durant la Seconde Guerre Mondiale, l’une des principales préoccupations de Staline était de s’éloigner du centre de Moscou, trop dangereux en raison des bombardements, tout en gardant les moyens de diriger son état-major militaire. Pour cela, le dictateur avait imaginé toute une série de bunkers souterrains pouvant faire office de centres de commandement provisoires. L’un de ces bunkers se trouve sous le stade d’Izmailovo, à la périphérie de la capitale.
En 1933, Staline annonce l’édification d’un nouveau stade olympique sur ce site. Ce que son peuple ignore, c’est qu’à 7 mètres en sous-sol, on construit dans le plus grand secret un véritable palais souterrain destiné à abriter le dictateur au cas où celui-ci devrait fuir le centre-ville de Moscou. Cet impressionnant édifice de 93 000 mètres carrés a été creusé sur quatre niveaux sous une colline adjacente au stade. Des salles techniques accueillaient chars, armes et réserves, tandis qu’au centre se trouvaient la salle principale de conférence ainsi que le bureau personnel de Staline. Grâce à plusieurs épaisseurs de béton armé, chacune de ces pièces était à l’épreuve des bombes.
Izmailovo était également relié à un réseau de lignes de métro et de routes secrètes de 17 km rejoignant le Kremlin. Le tunnel principal fait partie du réseau « Metro 2 » qui rayonne à travers toute la capitale moscovite. Izmailovo était bien plus qu’un simple centre de commandement ; aux yeux de Staline, il devait servir de dernier bastion au gouvernement en cas d’invasion de la capitale par une armée étrangère ; les stocks d’eau potable et de nourriture du complexe étaient ainsi suffisants pour permettre à près de 3000 personnes d’y vivre plusieurs mois d’affilée. Si les Allemands étaient parvenus à prendre Moscou durant la Seconde Guerre Mondiale, Izmailovo serait ainsi devenu le siège d’un gouvernement de crise. Depuis son bureau équipé de téléphones reliés aux principales instances du pays – armée, police secrète, siège du gouvernement – le dictateur aurait pu continuer à donner ses ordres.
Toutes ces infrastructures inspirées par la peur d’une invasion Allemande, puis par le contexte tendu de la Guerre Froide, n’auront finalement jamais servi qu’à rassurer le dictateur paranoïaque. Elles restent cependant aujourd’hui inscrites dans la géographie moscovite comme autant de cicatrices du passé. 1989 marqua la fin de l’empire soviétique hérité du stalinisme, mais les séquelles de l’épouvantable règne de terreur exercé par le dictateur sont toujours présentes sous Moscou et ses environs, et cela pour longtemps encore.
source : mystère-TV