Nouvelle sur les dragons

Le chaud soleil d’été brillait au dessus du parc, illuminant toute la nature verdoyante, faisant rayonner les couleurs des feuilles, de la terre, du sable, tout dans de tels camaïeux si naturels que s’en était reposant. Pourtant, l’endroit n’était pas à la médiation. Outre le doux vent qui soufflait dans les arbres et qui faisait bruisser la verdure du feuillage, le bruit d’eau qui coulait sans fin dans la fontaine au centre de l’allée délimitant l’intersection de deux chemins, on pouvait voir des enfants hauts en couleurs qui détonnaient dans ce lieu, courir à droite et à gauche, se poursuivre, rigoler, se chamailler, crier. C’est un véritable ballet qui se déroule sous les yeux des parents qui eux, amusés, discutaient tout en surveillant les taches colorées qui couraient, et qui, voulant profiter au maximum du soleil avant l’arrivée de l’automne, s’installaient sur tous les bancs que l’on pouvait trouver.

Il émanait un tel sentiment de joie de tous ces jeunes, la bonne humeur régnait, on était loin de tout, du tracas de la vie quotidienne, on n’avait pas à se soucier d’autre chose, non, des pères de famille jouent au foot avec leur progéniture, frères et sœurs font de la balançoire ensembles, mères et filles ramassent des fleurs.

Mais elle, est assise, seule, à l’ombre d’un arbre. Elle ne rie pas, ne rigole pas, ne coure pas après un camarade. Non. Elle joue avec des animaux en plastique, tranquillement installée sur l’herbe fraiche et verte, à l’ombre d’un chêne qui la surplombait de toute sa hauteur, ses branches passant au dessus de sa tête, et formant comme une cage de protection autour d’elle.

Pourtant elle est comme les autres ; aussi mignonne que peut l’être une enfant. De belles nattes joliment faites tombaient sur ses épaules, le fin tissu de sa robe rose claire voletait légèrement au son du même vent qui continue son chemin entre les arbres.

Mais elle, elle est seule. Elle ne ressent pas le désir de se mélanger aux autres. Elle est si bien seule, plongée dans ses pensées, réfléchissant, analysant ce qui se passe autour, s’inventant des histoires, une fois elle en train de chevaucher un cheval dans la forêt, puis elle en héroïne sauvant des vies, mais toujours dans un registre si naïf mais tellement pur, tellement sincère que s’en est merveilleux. On peut la remarquer, assise la, se dire « Qu’est-ce qu’elle est sage cette enfant ! », oh oui, on la voit, mais elle demeure insondable pour ces gens là, qui ont tellement de soucis dans la tête, le travail, l’argent, l’actualité, toujours des sujets si sombres, si loin de toute la beauté de ce qu’elle peut s’imaginer.

Mais ce ne sont pas que les adultes bien attentionnés qui l’observent avec bienveillance. Lui, ce petit garçon, celui qui est entouré de pleins d’amis, qui s’amuse comme un fou, lui, il l’a vue. Il est approché d’elle, l’a observée, puis, se tournant vers ses amis, en rigolant, il a déclaré d’un ton fort et assuré :
- Hé, regardez, elle, elle a pas d’amis !
Puis, il a prit une pierre, et lui a jeté dessus. Elle aurait pu riposter, se défendre, mais, bêtement, ou peut-être intelligemment, elle n’a pas bronché, comme on le lui a apprit, depuis qu’elle est petite, elle sait que c’est mal de taper, qu’elle est gentille, qu’il faut ignorer ceux qui nous embêtent, passer outre, car d’après ces parents, c’est ça, la vraie intelligence. Ne pas faire de mal aux autres. Elle s’est donc laissé faire, ils l’ont embêté, ont cassé ses jouets, ont sali sa belle robe. Les larmes coulent doucement sur ses joues, et ses yeux tout embués sont rivés sur le sol. Elle espérait, espérait qu’il s’en aillent, aillent jouer à autre chose, faire quelque chose de plus mature, la laissent tranquille, la laissent dans ses histoires merveilleuses, irréelles et pures, de toute la pureté de l’enfance.

Ces enfants là, elle ne les détestent pas ; on lui a répété que qui sème le vent récolte la pluie. De toute façon elle n’arrive pas à détester quelqu’un, elle est capable de tout pardonner. Elle veut juste qu’on lui foute la paix une bonne fois pour toute, qu’elle puisse se préserver de ce monde dans son monde à elle, tellement beau, où tout le monde est heureux, mais pas de façon provisoire comme tous les adultes qui profitent du soleil et sont allés au parc pour pouvoir oublier la dureté de leur vie, non, dans le sien, les gentils, les méchants sont heureux, et comme les méchants sont contents, ils deviennent gentils.

Est-ce le coup de destin ?

- Arrêtez, laissez la tranquille !
La petite était tellement plongée dans ses pensées qu’elle n’avait même pas vu le nouveau garçon arriver. Il a chassé les autres qui l’embêtaient, et la regardait gentiment, d’un regard bienveillant.
- Ca va, ils ne t’ont pas fait mal ?
Elle a dit non de la tête, ne pouvant sortir un mot tant elle était reconnaissante.
- Ils t’ont cassé tous tes jouets, remarqua le garçon. Tiens, prends ça !
Il lui mit quelque chose dans la main, la referma, puis s’en alla. La jeune fille le regarda partir, puis découvrit ce qu’il lui avait donné : un petit dragon en plastique. Elle était tellement contente de ce cadeau !

Le dragon signifie le mal, l’incarnation de Lucifer, qui doit être maitrisé par l’Homme. Mais paradoxalement signifie aussi le soleil, la chaleur, le positif. Il chasse les démons. Comme ce garçon a chassé ses démons à elle, et lui a apporté de la joie.